La Liberté

 

Paul VULLIAUD

6 juillet 1914.

 

"À propos des Caves du Vatican"

Une vaste escroquerie commise, il y a une vingtaine d'années, au préjudice d'un homme que la lecture des écrits politico-prophétiques avaient préparé au rôle de dupe, tel est le sujet du nouveau roman que M. André Gide vient de publier. […] Cette histoire inouïe d'un Souverain Pontife emprisonné dans les caves du Vatican par les francs-maçons, et qui se relie au naundorffisme, a été exposée dans une brochure par celui qui dévoila publiquement les machinations extraordinaires des exploiteurs et l'invraisemblable naïveté de la victime. Cette brochure, aujourd'hui très rare, est intitulée : Le Faux-Pape ou les Effrontés fin de siècle stigmatisés et livrés à l'indignation et au mépris de tous les honnêtes gens. Elle parut, en 1893, à Marseille. Son auteur est l'illustre hébraïsant Jean de Pauly, le traducteur du Zohar.

Un octogénaire très riche, M. Alexis Jordan, qui habitait Lyon, vivait en formant des vœux pour la restauration de la Monarchie en France. Un aigrefin découvrit en lui une proie facile. Il persuada au crédule vieillard, qui donnait sa confiance à cette littérature de voyants et de voyantes, que Louis XVII n'était pas mort au Temple, et qu'il survivait en la personne de Charles de Bourbon, habitant Bréda, en Hollande. Bientôt, M. Jordan fut amené à fonder un journal pour la cause du monarque. Deux numéros parurent. Des dissentiments causèrent sa disparition. L'aigrefin, aidé de quelques collaborateurs, profita de la foi que le vieillard accordait aux visions. Il s'adjoignit deux femmes qui jouèrent le rôle de voyantes et plaça son centre d'opérations au village de Loigny. Les visions étaient naturellement favorables à la restauration de la "branche légitime", représentée par le prétendant de Bréda. Une rupture, motivée par des questions d'intérêt, survint entre le "Roi" et le metteur en scène de Loigny. Celui-ci conseilla au sénile dévot de fonder un couvent. Il fut érigé sous le nom de Communauté du Sacré-Cœur de Jésus-Pénitent. La communauté eut un organe : Les Annales de Loigny, où la politique se mêlait étrangement à une contrefaçon de mysticisme. Des condamnations épiscopales s'ensuivirent. Elles émurent M. Jordan. L'autorité judiciaire ordonna la fermeture du "couvent". C'est alors que la mystification prit des proportions énormes. Les aventuriers persuadèrent à M. Jordan que ces condamnations émanaient d'un Saint-Office schismatique, de cardinaux qui tous étaient francs-maçons. De Rome, ils écrivirent à leur dupe que Léon XIII était enfermé dans les caves du Vatican. Sous prétexte de délivrer l'auguste Pontife, il fallait organiser une croisade. M. Jordan, poursuivant cette chimère, versa des sommes importantes et, sous l'empire d'une méfiance inattendue, il montra à Jean de Pauly les lettres – écrites au crayon sur des bouts de papier ! – par lesquelles les escrocs demandaient l'argent de la croisade. Le célèbre hébraïsant instruisit le vieillard sur la réalité des choses et, dès ce moment, s'entremit pour arrêter le cours des escroqueries. Il partit pour Rome où il demandait audience à Léon XIII, dont il avait l'honneur d'être personnellement connu. Jean de Pauly tenta les démarches nécessaires pour l'arrestation des escrocs. M. Jordan, lui, croyait toujours à la bonne foi de ses exploiteurs ! C'est à son retour de Rome que le savant se décida à publier la brochure où il montre les ramifications de ce complot insensé et où il donne les noms ce ceux qui furent, à un titre quelconque, les adhérents de la "grande cause de Loigny".

[Article reproduit aussi, le 7 juillet 1914, dans Le Télégramme de Nantes, avec ce chapeau : "Intéressant article de M. Paul Vulliaud dans La Liberté à propos d'un livre malsain de M. André Gide".]

 

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