Hubert NYSSEN, Marginales, n° 8, juillet-août 1947.

[Repris dans le BAAG, n° 32, octobre 1976, pp. 51-52].

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[5] par exemple, placé au début de la p. 5.

    

     [...] Dans Le Yogi et le Commissaire, il est écrit à propos des Interviews imaginaires de Gide :

     « Son influence sur la jeune génération française a été déplorable, ... à cause de l'ambiance d'arrogance intellectuelle... -- l'illusion qu'il donna d'appartenir à une secte privilégiée, d'avoir part à des valeurs raffinées qui pourtant, lorsqu'on essaye de les définir, vous échappent comme du sable entre les doigts... »

     C'est assez bien dit. Dans Thésée qu'il prétend être son dernier écrit, Gide distribue, une dernière fois donc, le sable illusoire. Ou plutôt, il le distribue à ceux qui veulent bien encore l'accepter. Les autres se contenteront -- et n'est-ce pas mieux ? -- de goûter l'excellence du style, la grâce du récit et aussi un humour serein autant que charmeur.

     Aux amateurs de testaments, offrons les derniers mots de Thésée : « J'ai goûté les biens de la terre. Il m'est doux de penser qu'après moi, grâce à moi, les hommes se reconnaîtront plus heureux, meilleurs et plus libres. Pour le bien de l'humanité future, j'ai fait mon oeuvre, j'ai vécu. »

     [52] Pour nous, ces phrases sont le soporifique que s'administre qui veut bien mourir et mourir bien. Nous doutons, avec ce qu'il nous reste de bon sens, que Gide ait influencé le bonheur des hommes, mais nous croyons que son nom sera inscrit sur la liste des meilleurs esthètes et que sa vertu se place à l'endroit de son style autant que de son aisance à voir les choses (les dessiner).

     Son attitude s'oppose à l'optimisme envahissant comme au désespoir ; elle se situe dans une zone intermédiaire que d'aucuns ont appelée disponibilité, refus de s'engager. Nous laisserons les exégètes épiloguer car il nous importe peu de situer Gide de cette façon pourvu que nous puissions, quelque jour d'été où le soleil est rude, lire La Symphonie pastorale sub tegmine fagi.

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