Colloque Paris 1988
Interventions et discussions à la
séance de l'après-midi,
BAAG,
n° 78-79, avril-juillet 1988, pp. 138-142.
La séance est ouverte par M. le Professeur Dr. Raimund
THEIS, de l'Université de Duisburg, qui prend la parole en
ces termes : Les cinq dernières années nous ont
fait assister à un renouveau des études gidiennes,
dû à une nouvelle génération de chercheurs
qui, par de nouvelles méthodes mettent en relief des aspects
chez Gide, dans son oeuvre, qu'on n'avait pas vu si distinctement
dans l'optique des recherches traditionnelles. Je suis très
heureux de pouvoir entendre cette après midi quatre représentants,
parmi les plus importants, de cette jeune génération
de gidiens.
Nous commençons
par l'exposé de Pierre LACHASSE. Celui-ci a consacré
sa thèse de IIIème Cycle à La Mythologie
dans l'oeuvre d'André Gide. J'ai lu avec grand intérêt
plusieurs articles de lui dans diverses revues. J'espère
que sa grande thèse d'État paraîtra bientôt.
Pierre LACHASSE l'a brillamment soutenue en Sorbonne au mois de
septembre l'année dernière. Elle traite : L'Itinéraire
d'André Gide. Écriture et problématique.
Pierre LACHASSE y analyse le cheminement intellectuel et psychologique
de Gide en suivant la trajectoire de l'oeuvre entière, perçue
dans toute sa complexité et tout son déroulement.
Ici, dans le cadre de notre problématique de 1918, il va
nous parler du « point de vue esthétique ».
Après cet
exposé, M. THEIS introduit celui de M. Pierre MASSON :
Il n'est pas nécessaire de présenter le Professeur
Pierre MASSON aux Amis d'André Gide. Dans le Bulletin, il
tient les rubriques : Lectures gidiennes et Gide
et la recherche universitaire. Nous connaissons ses nombreuses
publications, parmi lesquelles je ne mentionne que le très
beau livre sur André Gide: Voyage et écriture,
que les Presses Universitaires de Lyon ont publié en 1983.
Pierre MASSON y étudie toute l'ambiguïté, toutes
les contradictions de ce qu'on pourrait appeler le nomadisme
d'André Gide, qui a fait du voyage un véritable art
de vivre. Il y cherche le reflet de tout ce qui paraît dans
leur structure et leur organisation thématique et symbolique.
En troisième
position intervient M. Éric MARTY. Il s'est fait [139] connaître
des gidiens par ses études sur le Journal de Gide,
qui, après quelques articles dans des revues, l'ont conduit
à la publication en 1985, d'un livre qui a fait date dans
les études gidiennes : L'Écriture du jour,
sur le Journal, paru aux Éditions du Seuil et qui
a obtenu le Grand Prix de la Critique. Prenant des notes sur Gide,
Éric Marty y jette un regard de philosophe. Il ne s'arrête
pas à la représentation du monde, non plus qu'à
la propre personne de Gide, à sa personne objet exposée
aux regards d'autrui. MARTY cherche à faire sortir de l'ombre
que jettent toutes ces représentations ce qui reste à
la base de tout cela. C'est à dire le sujet, noeud de toute
l'existence, agent de toutes les manifestations et productivité.
Évidemment l'existence ainsi dévoilée ne se
communique pas en tant qu'objet, en tant que notion. La réduction
phénoménologique permet cependant d'assister de l'intérieur
même de la conscience à cette dialectique. C'est à
cette expérience qu'invite ses lecteurs le livre d'Éric
Marty. Ainsi ses études à orientation philosophique
ont complété les résultats des thèses
sur le Journal de Gide que nous devons à Daniel MOUTOTE,
ainsi que d'études que nous devons à d'autres chercheurs,
et que l'on devrait qualifier plutôt d'études littéraires.
Après L'Écriture du jour, Éric MARTY
a essayé de cerner la mythologie personnelle de Gide dans
André Gide...qui êtes-vous ?. Dans le cadre
de nos entretiens, son exposé porte sur « La Mythologie
grecque dans l'oeuvre de Gide ».
Le dernier exposé
sera celui de M. Peter SCHNYDER. De lui nous avons lu de nombreux
articles sur Gide ainsi que sur d'autres auteurs, la littérature
française, la littérature allemande, la littérature
européenne. Ces articles ont paru dans des revues et aussi
dans des journaux, comme la Neue Zürcher Zeitung. Tous
ces articles sont écrits dans un style toujours limpide en
français ou en allemand. Je suis très heureux de pouvoir
vous annoncer la parution récente de la thèse de Peter
SCHNYDER: Pré-textes. André Gide et la tentation
de la critique, paru chez Intertextes. Peter SCHNYDER s'y penche
sur un sujet resté relativement dans l'ombre jusqu'à
nos jours, c'est-à dire sur Gide critique passionné,
lecteur fervent. Il montre comment la critique prépare la
propre création de Gide, de sorte que le travail [140] critique
devient le carrefour de l'oeuvre, son préalable, prélude,
prétexte.
M. Peter SCHNYDER
ouvre son propos : Les Cahiers de la Petite Dame. Notes pour
une histoire authentique d'André Gide, en le mettant
en rapport avec l'ensemble du colloque qui l'a précédé.
Bien entendu je ne
mérite nullement de clore nos interventions. Cependant je
me rends compte, à la fin de notre journée, que presque
toutes les idées abordées, toutes les idées
charnières, se retrouvent réfractés dans Les
Cahiers. On pourrait en faire une sorte de petite conclusion.
On va parler de Corydon. Marc joue un rôle important.
Il y a cette idée de renouveau, cette fontaine de jouvence,
évoquée ce matin et qui est très importante
dans Les Cahiers de la Petite Dame. La rupture avec Madeleine,
La Symphonie pastorale, l'idée du regard, celle d'être
aveugle, de la cécité. Ensuite l'écriture est
toujours au centre des discussions que Gide a eues avec Maria van
Rysselberghe. Le point de vue esthétique n'est point négligé.
De même pour les lettres brûlées. On l'a dit :
on pourrait presque placer Les Cahiers sous le signe d'un
phoenix : Madeleine détruit ces lettres importantes,
Maria van Rysselberghe écrit beaucoup de pages, 1700, vous
le savez. On parle du mythe également, de la structure narcissique.
La religion est également esquissée. On pourrait sans
doute résumer tous ces éléments par une phrase
de Gide citant Madame de Sévigné :
Quand je n'écoute que moi, je fais des
merveilles.
Après
l'exposé de M. Peter SCHNYDER, la discussion est ouverte.
Elle commence par une mise au point de M. Alain GOULET sur la communication
de M. Pierre MASSON. Malheureusement cette intervention faite trop
loin du micro, reste à peu près inaudible.
Un auditeur anonyme
demande des précisions sur Les Cahiers de la Petite Dame
et spécialement sur le Cahier 3 bis qui concerne Corydon
et qui ne semble pas avoir été publié.
M. Peter SCHNYDER :
Pas mal de choses,
par exemple les lettres à Rosenberg, qui contiennent des
allusions morales à la pédérastie de Gide,
sont [141] encore sous scellés, je pense. L'Auditeur :
Ce Cahier est tout à fait disponible. On peut le lire à
la Bibliothèque Nationale depuis janvier. Mais il n'a pas
été publié, et c'est dommage, puisque Corydon
est d'actualité.
M. Peter SCHNYDER :
Mais puisqu'on parle
de Maria van Rysselberghe et du contexte miroir que forme en fait
son texte, il est intéressant de constater qu'il y est question
beaucoup des lettres brûlées, et Maria fait un récit
très sobre, Elle dit que c'est un effondrement. Schlumberger
téléphone. Gide est là, il ne peut plus parler.
C'est un blocage complet. Et puis après qu'il s'est expliqué,
elle ajoute qu'avec lui on ne revient jamais à la même
chose. Après, il ne reparle plus des lettres brûlées,
plus qu'incidemment. Ce qui paraît souligner l'aspect inconsciemment
désirable peut être de cet événement.
Un Auditeur :
Peut être la Petite Dame a-t-elle trouvé dans la destruction
des lettres de Gide par Madeleine, l'occasion de justifier sa propre
intervention auprès de Gide.
M. Michel DROUIN :
En écoutant
les exposés de cette après midi, et pour en revenir
au thème du colloque : L'Année 1918, je
voudrais évoquer une lettre adressée à André
Ruyters, le 2 mars 1918, sur les questions esthétiques. Peu
avant l'année 1918, Gide avait exploré toutes les
possibilités de l'esthétique classique dans une perspective
littéraire. Il déplace alors le problème esthétique
en direction des Évangiles. Et par un tour de passe passe
qui nécessiterait beaucoup de commentaires encore, il dit :
« Il m'apparaît chaque fois que
je rouvre l'Évangile, que l'enseignement, l'éthique
et l'esthétique qu'ils recèlent est très
différent, parfois jusqu'à s'y opposer, de l'enseignement
des Églises ou de l'éthique. Mais qui lit l'Évangile
? Il en est des paroles du Christ comme de la musique de Chopin,
toutes proportions gardées et soit dit sans irrévérence :
les interprétations qu'on en donne me prouvent que la méconnaissance
qu'on en a est [142] pire que l'inconnaissance. »
Il me paraît qu'ainsi Gide a beaucoup enrichi
son esthétique à partir de ce qui nous en semblerait
le plus éloigné : les Écritures saintes.
M.THEIS a la gentillesse
de donner enfin la parole à M. MOUTOTE, pour dire quelques
mots de clôture sur ce colloque.
M. MOUTOTE :
Il est assez simple
de conclure un tel colloque. L'an passé, à une soutenance
fort intéressante, celle de notre ami, M. Pierre LACHASSE,
un éminent professeur de Sorbonne a souhaité une rénovation
des études gidiennes. Il disait en substance : on en
a assez de la « mise en abyme », du « Moi »,de
la sincérité, du classicisme...Tout cela, quoique
très intéressant, a été trop entendu.
Et je suis un peu de son avis. Mais comment faire pour rénover
les études gidiennes ? Il me semble que Gide lui même
nous apporte la solution.
Gide nous dit que
chaque génération arrive porteuse d'un message nouveau.
Et que c'est à nous, les aînés, d'aider à
la délivrance de ce message. Et qu'avons-nous fait aujourd'hui,
nous les aînés, que de donner la parole avec nous à
la jeune génération ? Et je vais me résumer
en n'évoquant que la dernière communication, celle
de M. Peter SCHNYDER. J'ai trouvé sa présentation
des Cahiers de la Petite Dame très belle, parce qu'il
me les a fait aimer. Moi qui étais un détracteur de
la Petite Dame, je comprends maintenant en quel sens elle fut aussi
une grande Dame. Une grande dame, qui a su, comme le critique l'a
si bien dit, « saisir Gide au vol ». Je crois
que le message de Gide rejoint le message de cette jeune génération.
Je crois que c'est la manifestation d'une nostalgie de jeunesse.
C'est en ce sens que je voulais d'abord conclure mon intervention
de ce matin sur Corydon. Tel me semble être le sens de la
rénovation permanente des valeurs sur lesquelles nous vivons
que pratique Gide. C'est l'accent que j'ai reconnu dans les communications
de nos jeunes chercheurs. En votre nom je les remercie, et au nom
des Études Gidiennes, qui finalement ne se portent pas si
mal, si j'en crois le succès rencontré par le dernier
numéro du Bulletin des Études Gidiennes intitulé :
Retour à Paludes, tiré à 1400 exemplaires. |