Colloque de Paris 1988
Alain GOULET, « L'ironie pastorale en
jeu »,
Colloque « 1918 dans l'itinéraire
d'André Gide » [Paris, Sénat, 1988],
BAAG, n° 78-79, avril-juillet 1988, pp. 41-57.
© Alain GOULET
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Texte mis en ligne sur Gidiana
le 15 décembre 1999.
L'année 1918, pour Gide, c'est
d'abord celle de la rédaction de La Symphonie pastorale,de
février à novembre. La question fondamentale d'où
je partirai est celle que formulait Claude Martin, dans l'introduction
de sa magistrale édition critique :
« Pourquoi, tout soudain,
en février 1918, plutôt qu'à tel autre moment,
[Gide s'est-il] mis à vouloir écrire ce livre, ou
plutôt, selon ses propres termes, ce livre s'est-[il] mis
à vouloir être écrit par lui » ?1
Pourquoi en effet,
alors que le projet initial de L'Aveugle daterait de 18932
et avait sans cesse été différé depuis
lors ? Pourquoi, alors qu'en 1913, dans son épitre dédicatoire
des Caves du Vatican à Jacques Copeau, Gide écrivait :
« [...] il m'apparaît
que je n'écrivis jusqu'aujourd'hui que des livres ironiques
(ou critiques, si vous le préférez), dont sans doute
voici le dernier. »3
Et cette volonté
de conversion littéraire, de renoncement à l'écriture
ironique pour passer aux formes de l'affirmation du Moi, se traduit,
en 1918, par deux livres en chantier dont l'enjeu pour lui est considérable :
Corydon et Si le grain ne meurt, après qu'une
autre quête de soi, de nature religieuse -- je veux parler
de Numquid et tu...? -- s'est trouvée suspendue en
juin 1917, attendant d'être prolongée -- ce qui fut
effectivement le cas par le point d'orgue de 1919. Pourquoi alors
renouer avec une ironie si grinçante et avec un sujet dont
Gide affirme -- avec une insistance suspecte -- qu'il lui est devenu
étranger ?4
Pourquoi, alors qu'en
1914 Gide a annoncé la publication de sa [42] prochaine oeuvre
« en préparation » : Le Faux-monnayeur,
un roman5 , et que de toute
évidence l'esthétique de La Symphonie pastorale
est régressive par rapport aux recherches en cours pour l'élaboration
d'un nouveau roman, retrouvant la linéarité du récit
à la première personne, comme dans L'lmmoraliste
ou La Porte étroite ?
Manifestement La
Symphonie pastorale est un livre improbable, surgi en contradiction
avec toute logique apparente, c'est-à-dire dont la nécessité
doit être d'autant plus forte qu'elle est moins évidente.
Pourquoi donc Gide a-t-il besoin, en 1918, de se purger de ce vieux
projet ? Quelle peut être la part de son investissement
personnel dans cette écriture ironique ? et corrélativement,
le mode de « rétroaction du sujet sur lui-même »
6, selon la formule célèbre
qui encadre l'expression de la « mise en abyme » ?
À cette série
de questions concernant l'auteur, ajoutons cette autre, concernant
le lecteur : pourquoi faut-il que, de toute la production gidienne,
la Symphonie soit et demeure l'oeuvre la plus connue, la
plus lue ? Montherlant estimait que « les oeuvres
qui durent ne durent que par des malentendus ». De fait,
se pose nettement la question des malentendus de la lecture de La
Symphonie pastorale, de la multiplicité des lectures
possibles, c'est-à-dire de l'ambiguïté du texte,
de la variété de ses registres, de la complexité
de ses modalisations. Du Bos avait aussitôt signalé
le « trouble du fond transparaissant sous la limpidité
de la forme ». Par ce biais encore, nous retrouvons le
problème de l'ironie de l'écriture. Car l'ironie,
écart entre le dit et le sens, n'existe qu'autant qu'elle
est perçue par le lecteur et dans la mesure de son appréciation.
Or, « rien de plus difficile à comprendre, de plus
indéchiffrable que l'ironie », écrit Sciascia7.
Schématiquement,
le lecteur de la Symphonie oscille entre deux positions extrêmes :
ne pas percevoir d'ironie, adhérer au personnage du Pasteur,
à sa voix, à sa rhétorique, à sa justification
de soi. Alors, de même que le Pasteur domine tous les personnages
en les prenant dans les rets de son point de vue et [43] de
ses explications, de même il dispose de son lecteur en inclinant,
par son récit et son discours, son esprit et sa sensibilité
en sa faveur. C'est le régime euphorique de la Symphonie,
réduite à l'harmonie. Ou alors, être si sensible
aux dissonances, à une ironie parfois si appuyée,
tendant à des effets caricaturaux8
comme ce sera le cas dans Robert, être si indisposé
par la fausse monnaie du personnage comme du narrateur, que son
plaidoyer se retourne en un constant réquisitoire.
Si la première
position semble assez répandue, celle de la lecture naïve
d'une écriture régie par la transparence et la transitivité
auteur /narrateur /personnage /lecteur, il faut reconnaître
qu'elle n'est guère tenable. Car pourquoi alors la fatalité,
l'ironie du sort, la révolte de ses proches, accableraient-elles
notre bon pasteur si dévoué ? Quant à
la seconde position, celle du régime ironique constant, outre
qu'elle ressortit avant tout de la répudiation morale d'un
« salaud », au sens sartrien du terme9,
elle présente l'inconvénient de dédouaner a
priori l'auteur, et de conforter sa distance critique radicale vis-à-vis
de son personnage narrateur, comme Gide avait cherché à
l'accréditer. Ou alors il faudrait conférer à
la notion d'ironie l'acception large que lui donnent Lukacs et Goldmann,
définissant la « situation du romancier par rapport
à l'univers qu'il a créé ; il dépasse
mais de façon abstraite, non vécue la conscience possible
de son héros »10 :
mais l'ironie devenant inhérente à l'écriture
romanesque, nous perdrions alors la spécificité de
l'ironie pastorale.
En fait, le statut
de la voix narrative est éminemment variable, ambigu, oscillant
de la ferveur à l'ironie. Tantôt nous nous trouvons
dans le régime du lyrisme et de l'émotion, comme dans
ce passage initial de la redécouverte du « petit
lac mystérieux » et de la contemplation émue
du paysage environnant, au soleil couchant (p. 6), qui présente
bien des traits d'une anamnèse ; ou encore à
quelques moments de vraie rencontre, de communion entre le Pasteur
et sa pupille, comme lors des larmes de Gertrude (p. 52). L'adhésion
qui se produit alors entre l'auteur, le narrateur, le [44] personnage
et le lecteur laisse supposer une charge d'investissement particulière
de Gide, une participation inconsciente et/ou libidinale qui confère
au texte sa dimension d'auto-analyse. Tantôt se déploient
divers registres de l'ironie, qui retourne les propos du Pasteur
en autant d'actes d'accusation dressés contre lui, ou qui
caractérise certaines remarques d'Amélie ou de Jacques
que notre Pasteur s'obstine à retranscrire en se refusant
de les comprendre. Notons que le mot d'« ironie »
apparaît deux fois sous la plume du Pasteur. Une première
fois pour caractériser sa propre déclaration de guerre
vis-à-vis de Jacques (p. 62), et la seconde, pour en faire
grief à sa femme, à propos d'une remarque qu'il n'a
pas comprise : « il ne m'a pas été
donné d'être aveugle » (p. 100). Ainsi est
soulignée la dissymétrie des relations interpersonnelles :
si le Pasteur domine son fils par sa parole, il subit la domination
de la parole et du point de vue de sa femme. Entre ces deux régimes
textuels, s'étagent d'autres modes d'énonciation d'une
réception moins délicate, encore qu'ils puissent être
porteurs d'ironie : le discours référentiel,
pédagogique, scientifique, objet allégué du
Premier Cahier (cf. : « C'est l'histoire du développement
intellectuel et moral de Gertrude que j'ai entrepris de tracer ici »,
p. 54); le débat théologique ; ou la narration
proprement romanesque par exemple.
II
Pour mieux cerner
à présent la nature et l'enjeu de l'ironie, étant
donné qu'elle implique une information double et un double
destinataire, il nous faut nous demander pour qui le Pasteur écrit
et pour qui Gide écrit.
Jamais le Pasteur
n'explicite un destinataire : il n'écrit pas vraiment
pour lui-même si, de toute évidence, son récit
l'aide à voir clair dans l'enchaînement des événements
et en lui-même (comme l'atteste en particulier le début
du Deuxième Cahier : « La nuit dernière
j'ai relu tout ce que j'avais écrit ici... » etc.,
p. 85) ; ni pour aucun des siens. Apparemment, il n'écrit
que pour un [45] lecteur anonyme, un « on »,
ou mieux pour le tribunal de la postérité devant lequel
il se sent le besoin de se justifier, comme le Rousseau des Confessions.
Car son récit est entièrement pris dans les mailles
du discours de l'auto-justification, porteur précisément
du discours de la mauvaise foi.
Prenons garde, toutefois,
à la pratique de la dénégation, qui est une
des clés de l'ironie et un révélateur privilégié
de la mauvaise foi. Le seul destinataire qui soit évoqué
comme possible, éventuel, est révoqué en tant
que destinataire naturel, intentionnel. Il ne pourrait le devenir
que d'une façon oblique, accidentelle, dans un futur peu
probable, mais qui suffit à impliquer Amélie comme
Surmoi, et pour tout dire sur-lecteur. Car c'est bien entendu d'elle
qu'il s'agit. S'apprêtant à l'exécuter, le Pasteur
proteste de son impartialité :
« [...] je l'atteste
solennellement pour le cas où plus tard ces feuilles seraient
lues par elle." (p. 30)
Manifestement, ce
qui apparaît comme une incidente tout en prenant la forme
d'un serment emphatique fait émerger un aveu implicite :
Amélie est reconnue comme contre-point de vue, comme contre-lecteur,
la seule de son entourage qui puisse avoir barre sur lui (nous l'avons
déjà vu lorsque le Pasteur se reconnaît victime
de son ironie), la seule qui ne puisse se laisser abuser par son
argumentation et soit susceptible de démasquer ses sophismes
et sa mauvaise foi. Elle ne peut donc être la vraie destinataire,
et c'est pourquoi le Pasteur multiplie les signes qui la constituent
explicitement en objet de récit ou de discours. Ainsi, transcrivant
les paroles de Gertrude qui parle de « ma tante »,
il précise dans une parenthèse : « c'est
ainsi qu'elle appelait ma femme » (p. 46). Mais en même
temps, il signale implicitement que l'ironie de son texte tiendra
dans l'écart de sens entre son point de vue et celui de sa
femme, entre le lecteur naïf qu'il persuade et celui qui le
juge du point de vue d'Amélie. Plus encore, c'est le point
de vue introjecté de sa femme qui le pousse à écrire,
à argumenter et qui fait éclater sa mauvaise foi.
Son plaidoyer pro domo est une [46] réponse à
un acte d'accusation implicite dressé par une Amélie
transformée en statue du Commandeur, ou plus exactement à
ses reproches d'autant plus efficaces qu'il les sait obscurément
fondés. C'est pourquoi son discours est un discours schizophrénique,
qui tente de se débarrasser du point de vue d'Amélie
en s'affirmant serviteur de Dieu, un débat de soi contre
soi, tels les fameux Dialogues : Rousseau juge de
Jean-Jacques. Mais sa tentative est vouée à l'échec :
plus il veut convaincre, protester de sa bonne foi, plus il fait
appel à des arguments apparemment irréfutables, fondés
sur son sens du devoir et sa qualité de Pasteur, plus il
manifeste qu'il est un « salaud » et qu'il se
sait coupable. Tel est le piège impitoyable de l'ironie.
Pour étudier
son fonctionnement, prenons pour exemple l'argumentation du Pasteur
qui rend précisément nécessaire la convocation
et la révocation d'Amélie comme lecteur et comme juge.
Le Docteur Martins vient d'exposer une méthode d'éducation
pour aveugles, et l'a commentée à l'aide d'exemples.
Notre Pasteur se met à la tâche et montre que les obstacles
ne se trouvent pas là où on les attendrait :
Il y fallut, dans les premières
semaines, plus de patience que l'on ne saurait croire, non seulement
en raison du temps que cette première éducation
exigeait, mais aussi des reproches qu'elle me fit encourir. Il
m'est pénible d'avoir à dire que ces reproches me
venaient d'Amélie ; et du reste, si j'en parle ici,
c'est que je n'en ai conservé nulle animosité, nulle
aigreur -- je l'atteste solennellement pour le cas où plus
tard ces feuilles seraient lues par elle. ( Le pardon des offenses
ne nous est-il pas enseigné par le Christ immédiatement
à la suite de la parabole de la brebis égarée
?) Je dirai plus : au moment même où j'avais
le plus à souffrir de ses reproches, je ne pouvais lui
en vouloir de ce qu'elle désapprouvât ce long temps
que je consacrais à Gertrude. Ce que je lui reprochais
plutôt c'était de n'avoir pas confiance que mes soins
pussent remporter quelque succès. Oui, c'est ce manque
de foi qui me peinait ; sans me décourager du reste.
Combien souvent j'eus à l'entendre répéter :
[47] « Si encore tu devais aboutir à quelque
résultat... » Et elle demeurait obtusement convaincue
que ma peine était vaine ; de sorte que naturellement
il lui paraissait mal séant que je consacrasse à
cette oeuvre un temps qu'elle prétendait toujours qui serait
mieux employé différemment. Et chaque fois que je
m'occupais de Gertrude elle trouvait à me représenter
que je ne sais qui ou quoi attendait cependant après moi,
et que je distrayais pour celle-ci un temps que j'eusse dû
donner à d'autres. Enfin, je crois qu'une sorte de jalousie
maternelle l'animait, car je lui entendis plus d'une fois me dire :
« Tu ne t'es jamais autant occupé d'aucun de tes propres
enfants. » Ce qui était vrai ; car si j'aime
beaucoup mes enfants, je n'ai jamais cru que j'eusse beaucoup
à m'occuper d'eux. (p. 30-32)
La première
phrase expose les faits qui rendent nécessaire l'argumentation
qui suit. La tournure impersonnelle (« Il y fallut »)
tend à donner le sentiment d'objectivité du récit,
tout en plaçant le Pasteur en position de victime :
il est tout entier « patience » -- bien davantage
encore que le « on » destinataire de son récit,
vous et moi, pourrait l'imaginer --, soumis à la double necessité
du « temps » qui fait naturellement partie de
la mise en pratique de la méthode mais aussi des « reproches »,
contrefacteur de réussite, obstacle supplémentaire
et parasite qui rend la tâche plus difficile. Ces reproches,
qui n'ont encore ni agent, ni contenu, placent le Pasteur en position
défensive. Mais s'ils existent et prennent une telle importance,
c'est parce qu'Amélie l'a mis en position de se les adresser
à lui-même, c'est parce que c'est lui-même qui
se fait des reproches, -- ce qu'il va bientôt reconnaître.
C'est parce qu'il admet leur validité et leur intégration
à l'oeuvre d'éducation (c'est la « première
éducation » qui « me [les] fit encourir »)
que ces reproches entraînent une argumentation de la justification
personnelle où va se déployer l'ironie involontaire
du personnage.
Toute l'argumentation
tiendra dans cette stratégie : Amélie a certes
raison du point de vue humain, de sa logique ménagère
et utilitariste. Mais alors qu'elle s'est enfermée dans une
vue étroite, mesquine et [48] terrestre des choses --ce
qu'il répétera chaque fois qu'il le pourra, et avec
quelle hargne ! --, il obéit pour sa part à une éthique
supérieure, il relève de l'amour évangélique.
Plus : il est l'incarnation du Bon Pasteur, le modèle de
l'imitation de Jésus-Christ à la manière de
Gide qui, après avoir répondu aux reproches des pharisiens
: Numquid et tu...?, dressera son portrait sous les auspices
de cette parole du Christ : Si le grain ne meurt11,
se désignant ainsi, dans une fausse humilité, comme
modèle de l'obéissance au Christ, s'affirmant en donnant
l'air de se résigner. Mais n'anticipons pas et revenons à
la logique de notre Pasteur.
Ayant posé
les reproches comme un fait autonome inhérent à son
oeuvre d'éducation, il éprouve la plus grande difficulté
à en désigner la coupable : « Il m'est
pénible d'avoir à dire que ces reproches me venaient
d'Amélie ». L'embarras de l'argumentation, la complexité
des modalisations, constituent un indice des plus constants du discours
de la mauvaise foi, donc de l'ironie. En désignant l'origine
des reproches qui m'affectent et entravent la bonne marche de mes
efforts, je n'obéis à nul désir de revanche,
car cela « m'est pénible », mais bien
à un devoir supérieur : j'ai « à
dire ». Notre Pasteur tente donc d'abord de se débarrasser
de ces « reproches » introjectés en les
extériorisant, en les retournant à leur source, manoeuvre
qui ne peut réussir complètement car, nous l'avons
vu, il sait au fond de lui que ces reproches sont justifiés
et le reconnaîtra : « Je ne pouvais lui en
vouloir de ce qu'elle désapprouvât ce long temps que
je consacrais à Gertrude » et : « je
n'ai jamais cru que j'eusse beaucoup à m'occuper de mes enfants ».
Mais en nommant Amélie, il parvient à se libérer
d'elle comme sujet introjecté, comme Surmoi, la réduisant
à l'état d'objet dans son discours. Se défendant
de la mettre en accusation, puisqu'il n'est animé par « nulle
animosité, nulle aigreur », il la rejette du même
coup comme interlocutrice pouvant pourvoir à sa défense.
Au reste, il ne se justifie pas pour elle -- puisqu'elle ne pourrait
être que le destinataire occasionnel de son discours, comme
par effraction et après coup --, mais pour ce « on »
du lecteur qu'il faut persuader. Pour mieux y parvenir il proteste
donc de son respect pour sa [49] femme à défaut d'amour.
Mais dire qu'il n'a « conservé nulle animosité,
nulle aigreur » de ces reproches, c'est avouer, par la
dénégation, son animosité réelle au
moins dans le passé, et s'il croit pouvoir affirmer ne plus
en éprouver aujourd'hui, c'est parce que le fait d'en parler,
loin d'être la preuve de son détachement, est l'occasion
de sa revanche qu'il se défend de prendre. Protestant que
son propos n'est pas double, il reconnaît qu'il l'est, puisque
son critère de véracité (« et du
reste, si j'en parle ici, c'est que »...) se retourne
en preuve de sa duplicité.
Pour mieux placer
Amélie sur la touche et mieux la disqualifier, le Pasteur
procède alors au déploiement de la topique qui définit
sa position, atteste sa parole, et la transforme en discours de
vérité : le serment qu'il vient de faire devant
le tribunal des hommes (« je l'atteste solennellement »)
est rendu irrécusable par sa fonction pastorale. Mieux :
étant lui-même l'incarnation du Bon Pasteur qui a recueilli
la brebis égarée, il va de soi qu'il pardonne aussi
les offenses notamment celles d'Amélie qui a osé contrarier
son oeuvre christique par ses reproches. Loin de n'être qu'une
incidente, la parenthèse se révèle donc être
la pierre angulaire de l'argumentation qui suit. Car fort de parler
désormais, non plus en homme empêtré dans ses
relations transférentielles avec sa femme, mais au nom du
Christ, il peut revenir sur le contenu des reproches qu'il n'a pas
encore explicités.
Si les reproches
portant sur le temps consacré à Gertrude sont fondés
-- ce qui est du reste la condition sine qua non pour que
la notion de reproche fonctionne --, alors ce n'est pas là
que git « l'offense ». L'offense provient du
fait qu'Amélie « n'a pas confiance »
dans le succès de ses soins, c'est-à-dire qu'elle
n'a pas « foi » en lui. Insidieusement, notre
Pasteur sort de sa fonction de pasteur, c'est-à-dire
de ministre de la Parole, pour entrer dans celle de prêtre,
c'est-à-dire de représentant et de médiateur
de Dieu. Il se fait « El Hadj »12.
Il a besoin que sa femme croie en lui, en la grâce efficace
de ses soins. Et puisqu'elle a osé douter de lui, il va le
lui faire payer cher en l'accablant maintenant -- nonobstant ce
qu'il vient de dire : « Ce que je lui reprochais »
(mes reproches peuvent maintenant [50] répondre aux siens,
puisque Dieu a manifesté, par mon succès, la justesse
de ma position); « ce manque de foi » (posé
dans l'absolu, sans complément : s'il est vrai que je
suis disciple du Christ, alors son manque de foi en moi l'exclut
implicitement des lumières divines, et pour un peu de la
communauté chrétienne -- ce qu'Amélie reconnaîtra
du reste, au début du Deuxième Cahier, en refusant
de communier le jour de Pâques); « elle demeurait
obtusement convaincue » (signe décidément
irréfutable qu'elle est privée des lumières
de la foi). Bref, ayant usurpé la qualité de prêtre,
il s'est aussi transformé en grand inquisiteur, et il instruit
le procès de sa femme pour manque de foi. Puisqu'il ne peut
se débarrasser ni d'elle, ni de ses reproches, il la transforme
en accusée devant le tribunal des lecteurs, témoigne
de son étroitesse de vue et de son acariâtreté
(« chaque fois que je m'occupais de Gertrude elle trouvait
à me représenter que »...), et aboutit au
verdict : elle est condamnée pour « jalousie
maternelle ». A sa maternité biologique et terrestre,
le Pasteur oppose une fois pour toutes sa qualité de Père,
de disciple du Père céleste. Pour un peu, il pourrait
répliquer à sa femme ce que Jésus rétorqua
à douze ans, à ses parents qui le cherchaient :
« Ne saviez-vous pas qu'il me faut être occupé
des affaires de mon Père ? » (Luc,
II, 49). Et c'est pourquoi, aussitôt après, il reprend
sa fonction de pasteur pour prononcer un sermon sur cette « parabole
de la brebis égarée » qui fonde la vérité
de sa position, s'adressant à « certaines âmes,
qui [...] se croient profondément chrétiennes »
(p. 32) manifestant ainsi qu'il n'en a jamais fini avec le dialogue
implicite avec Amélie, qu'il voudrait convaincre de la justesse
de son droit. Ce faisant, c'est bien sûr lui-même qu'il
tente d'abord de convaincre.
Relevons enfin que
cette tâche d'éducation que notre Pasteur oppose aux
soins domestiques de sa femme, il l'appelle son « oeuvre »
(p. 32). Cette « oeuvre », fondée sur
son obéissance au Christ, sur le sens d'une élection
divine, le situe d'emblée au-delà de toutes les contingences
familiales, jugées mesquines.
III
[51] On aura
compris à quel point un tel plaidoyer de mauvaise foi du
Pasteur, dont toute la stratégie narrative et discursive
fait éclater l'ironie, est aussi et en même temps investi
d'un plaidoyer pro domo de l'auteur, de Gide, sans qu'il
y ait pourtant coïncidence de leurs propos et de leurs visées.
Gide se sert de son Pasteur à la fois pour tenter de tirer
son épingle du jeu en le dénonçant, et pour
exprimer sa propre position par son truchement. D'où le caractère
particulièrement retors, complexe, paradoxal et ambigu de
l'ironie.
Par conséquent,
nous pouvons maintenant tenter d'éclairer la question de
savoir à qui Gide s'adresse, quel est l'enjeu de son récit,
et donc quelle nécessité le contraint à écrire
La Symphonie pastorale en 1918.
Reconnaissons d'abord
une certaine analogie de situation avec son personnage, dont voici
les principaux fils :
1. De façon
générale, Gide se sent l'objet d'une élection
quasi divine et investi d'un devoir supérieur13,
au nom de quoi il pourrait passer outre à ses obligations
sociales et domestiques.
2. Voulant se dire,
il a tenté de fonder une connaissance de soi et l'autorité
de sa parole sur la Parole de Dieu : d'où la quête
religieuse de Numquid et tu...?, restée suspendue.
Ce faisant, il s'est fait pasteur14.
3. Il est transporté
d'amour pour Marc Allégret, comme il le manifeste en particulier
dans son Journal sous les noms de Fabrice et de Michel. Pour
la première fois, il a l'impression de tromper sa femme.
D'ou sa mauvaise conscience à son égard et la réactualisation
de la problématique bonheur/ aveuglement qui, en 1893, était
à la source du projet de L'Aveugle, et qui, provisoirement,
avait trouvé une formulation ironique au coeur de Paludes :
« Etre aveugle pour
se croire heureux. Croire qu'on y voit clair pour ne pas chercher
à y voir puisque :
L'on ne peut se voir que malheureux. »
A quoi correspond cette corrélation :
« Etre heureux de sa
cécité. Croire qu'on y voit clair pour ne pas chercher
à y voir puisque :
L'on ne peut être que malheureux
de se voir. » 15
[52] Telle pourrait être la formulation du
vis-à-vis du Pasteur et de Gertrude. Notons que, dans Paludes,
ce double énoncé fonctionnait comme modèle
de raisonnement sophistique, et que notre Pasteur saura en prendre
de la graine.
Donc Gide se rend
compte que son bonheur avec Marc n'est acheté qu'au prix
d'une cécité vis-à-vis de Madeleine, ce qui
le conduit à vouloir faire le point par le biais de sa fiction.
Le Deuxième Cahier s'ouvrira sur cette mention de la fonction
révélatrice et spéculaire de l'écriture :
« La nuit dernière
j'ai relu tout ce que j'avais écrit ici...
Aujourd'hui
que j'ose appeler par son nom le sentiment si longtemps inavoué
de mon coeur, je m'explique à peine comment j'ai pu jusqu'à
présent m'y méprendre. » (p. 86)
4. Nous avons rappelé
qu'en 1914, Gide avait annoncé son prochain ouvrage sous
le titre « Le Faux-monnayeur ». L'étude
d'un type humain annoncée par ce singulier concernait l'écrivain
faux-monnayeur16, et avant Robert
de Passavant, avant Édouard, notre Pasteur sera le modèle
du faux-monnayeur qui détient tout son univers sous sa plume
et le modèle, en accommode les éléments, selon
la logique de ses sentiments et de ses intérêts.
5. Oser se dire,
pour Gide, ainsi qu'il s'apprête à le faire dans Corydon
et Si le grain ne meurt, c'est placer au centre du propos
et du portrait le problème de l'homosexualité. Or
cet aveu passe par l'élimination symbolique de sa femme,
qu'il faut disqualifier comme épouse en la cantonnant à
des tâches domestiques.
« Ma joie
a quelque chose d'indompté, de farouche, en rupture avec
toute décence, toute convenance, toute loi », note-t-il
le 30 novembre 1917 dans son Journal. Et le 20 janvier :
« Le vent déjà tiède [...] soulève
tous mes désirs. Je suis excédé de tranquillité,
de confort... » Il lui faut partir, rompre les amarres,
abandonner Madeleine-Ariane, le « « fil à
la patte »17.
De même que,
pour pouvoir commencer à écrire, Gide a fait mourir
symboliquement sa mère pour qu'advienne la parole d'André
Walter, de même qu'il continuera à régler ses
comptes avec elle dans Si le grain ne meurt qui ne clôt
la période d'apprentissage qu'avec [53] la mort de la Mère,
au moment même où la cousine Madeleine prend le relais
de cette mère, de même il lui faut maintenant, pour
oublier Corydon et Si le grain ne meurt, éliminer
sa femme du débat et la supprimer comme interlocutrice et
comme juge. C'est à quoi s'emploiera, on l'a vu, La Symphonie
pastorale et tout ce qui lui reste attaché : la
fuite en Angleterre et le drame des lettres brûlées
qui, d'une certaine façon, font partie de la Symphonie.
Donc, au seuil de
l'année 1918, Gide est en proie à une double nécessité
contradictoire. Il lui faut voir clair en lui, faire jouer la dialectique
bonheur/aveuglement sur un de ses possibles : c'est la cause
immédiate de la mise en chantier du livre, celle qui entraîne
sa rhétorique la plus visible. Mais le procès sera
gauchi à cause de la partialité de la voix narrative,
avide de son droit au bonheur. D'autre part, au-delà de son
droit au bonheur, Gide revendique son droit à affirmer son
identité, sa spécificité, son droit à
ne relever que d'une éthique supérieure qui est celle
de son oeuvre, ce qui induit le nécessaire sacrifice de tout
ce qui vient contrecarrer cette exigence intime de l'oeuvre. D'où
cet acharnement mis par Gide autant que par son personnage à
disqualifier avec hargne cette médiocrité d'Amélie
engoncée dans ses soucis mesquins, dans ses vues étroites,
dans son utilitarisme. On notera à quel point l'ironie est
bien peu perceptible, pour ne pas dire absente, de ce procès
instruit contre Amélie dans des passages tels que :
« Le seul plaisir que
je puisse faire à Amélie, c'est de m'abstenir de
faire les choses qui lui déplaisent. Ces témoignages
d'amour tout négatifs sont les seuls qu'elle me permette.
A quel point elle a déjà rétréci ma
vie, c'est ce dont elle ne peut se rendre compte. Ah ! plût
à Dieu qu'elle réclamât de moi quelque action
difficile ! Avec quelle joie j'accomplirais pour elle le
téméraire, le périlleux ! Mais on dirait
qu'elle répugne à tout ce qui n'est pas coutumier;
de sorte que le progrès dans la vie n'est pour elle que
d'ajouter de semblables jours au passé. » (p. 52)18
On comprend alors
comment le projet de la Symphonie s'est trouvé gauchi
en cours de rédaction. Commençant à écrire
avec l'intention d'instruire le procès d'un pasteur faux-monnayeur
et de sa cécité [54] volontaire, Gide est en quelque
sorte rattrapé par son personnage pour tout ce qui touche
à ses relations avec sa femme. Il lui faut se débarrasser
de ses reproches, s'adresser indirectement à elle pour l'exclure
de son champ d'action, la débouter comme juge de lui-même,
l'enfermer dans son univers de maîtresse de maison, tout en
protestant de son respect et de son affection selon la logique qu'il
reprendra, après la mort de Madeleine, dans Et nunc manet
in te.
Lorsqu'au début
du Deuxième Cahier, après l'écriture du 25
avril centrée sur le constat qu'Amélie et Jacques
sont restés éloignés de la Table Sainte, Gide
estime avoir rompu symboliquement avec sa femme, il part pour l'Angleterre.
Pour manifester son autonomie et son troit au bonheur ? Pour
accomplir sur Marc son oeuvre d'éducation ? Peut-être,
mais surtout pour pouvoir achever La Symphonie pastorale,
selon cette dialectique de la vie et de l'oeuvre qu'il mettra notamment
en scène dans Les Faux-monnayeurs, avec cet épisode
où Édouard fait lire à Georges un fragment
de son oeuvre, attendant que les événements l'instruisent
et lui dictent la suite du livre.
Mais il est bien
loin d'en avoir fini avec Madeleine, ce que prouve déjà
l'« état d'angoisse inexprimable »19
qui le saisit au moment où il prend le large. Sartre a longuement
analysé les rapports de l'angoisse et de la conduite de mauvaise
foi20. Pour trancher ce noeud gordien
il faudra que, par une mystérieuse mais nécessaire
connivence, Madeleine collabore au projet en détruisant leur
correspondance, l'essence de leur dialogue, pour que Gide ose pousser
au bout sa logique, couper définitivement le dialogue, poursuivre
son oeuvre en s'affirmant tel qu'il est. A sa manière, Madeleine
a compris l'exigence implicite d'André qu'elle se sacrifie
au profit de l'oeuvre à venir. Donc, en 1918, l'alternative
se résumait en ce choix : Si le grain ne meurt...
vs. Occupe-toi d'Amélie... Mais en l'occurence, c'est
Madeleine le bon Pasteur qui se sacrifie pour la brebis égarée...
ou pour que le grain donne beaucoup de fruit.
Reste qu'il ne faudrait
pas assimiler trop vite Gide à son Pasteur. Tandis que celui-ci
est un pharisien dont le discours vise à la justification,
celui-là est un expérimentateur dont l'esprit critique
[55] reste en alerte, qui ne s'abandonne pas à un seul point
de vue, demeure sensible aux contradictions sans vouloir les réduire
à une harmonie artificiellement et mensongèrement
conquise. D'où le jeu subtil de la Symphonie :
Gide accompagne son Pasteur tout en le condamnant, pense sauver
sa mise en instruisant le procès d'un de ses possibles, et
c'est dans ce jeu que se déploie la gamme de l'ironie narrative
et discursive. Ironie qu'il est impossible de circonscrire dans
des limites qui ne peuvent que varier avec l'appréciation
du lecteur. Car Gide, écrivant sa Symphonie pastorale,
s'est mis dans la situation de subir en retour le régime
ironique de son écriture.21
Notes
1. André
Gide, La Symphonie pastorale, édition établie
et présentée par Claude Martin. Paris, Lettres Modernes,
col. "paralogue", 1970, p. XXXII-XXXIII. Toutes nos références
au texte de La Symphonie pastorale renvoient à cette
édition, à la page précisée entre parenthèses,
après chaque citation.
2. Cf. « Projet de préface
pour La Symphonie pastorale », op. cit.,
p. 134.
3. A. Gide, Romans. Récits
et soties. Oeuvres lyriques. Pléiade, p. 679.
4. Voir : « [...]
c'est celui de mes livres que je sacrifierais le plus volontiers
[...] », « cet état d'anachronisme »,
« rien ne m'écoeurait plus » ("Projet
pour La Symphonie pastorale », p. 134-136).
5. Voir la liste
des « Ouvrages du même auteur », en tête
des deux éditions des Caves du Vatican, de 1914.
6. Journal de 1889-1939,
Pléiade, p 41.
7. Cité par Kundera, L'Art
du roman. Paris, Gallimard, 1986, p. 163.
8. Comme par exemple : « J'avais
passé la nuit à me persuader que l'amour de Jacques
était tout naturel et normal au contraire. D'où venait
que mon insatisfaction n'en était que plus vive ? »
(p. 66); ou « que signifiait cette insinuation ?
C'est ce que je ne savais, ni ne voulais chercher à savoir
[...] » (p. 72).
9. Rappelons que, pour Sartre,
les « salauds » sont « ceux qui se
sont arrangés pour mettre le Bien et le Droit de leur côté,
ceux dont l'existence est d'emblée fondée et justifiée »
(F. Jeanson, Sartre par lui-même. Paris, Seuil, « Écrivains
de toujours », 1955, p. 32).
10. Marc Angenot,
Glossaire de la critique littéraire contemporaine.
Montréal, Hurtubise HMH, 1972, p. 56.
11. Rappelons que Numquid et
tu...? fait explicitement référence, par ses épigraphes,
aux reproches que les pharisiens adressent à leurs agents
(« Avez-vous été séduits, vous aussi ? »)
et à Nicodème (« Serais-tu Galiléen,
toi aussi? ») (Jean, VII, 47 et 52), et implicitement
à la question de la servante adressée à Pierre :
« N'es-tu pas, toi aussi, des disciples de cet homme ? »
(Jean, XVIII, 17). Le titre des mémoires, Si le grain
ne meurt, rappelle l'enseignement du Christ avant sa Passion :
« Si le grain de blé ne meurt après être
tombé en terre, il demeure seul ; mais s'il meurt, il
porte beaucoup de fruit » (Jean, XII, 24). Comme le Christ
accomplit sa mission de salut en se sacrifiant sur la Croix, Gide
consent à se sacrifier aux yeux du monde en osant dire qui
il est.
12. Cf. : "El Hadj !
[...] c'est en ta foi que je repose ; en ta croyance en moi
que je puise la certitude de ma vie. » (El Hadj,
in Romans, récits et soties, Pléiade, p. 353).
13. Pour le sens d'une élection
personnelle, voir par exemple l'épisode du canari, dans Si
le grain ne meurt « "N'as-tu donc pas compris que
je suis élu ? », Pléiade, p. 479);
pour celui du devoir, la publication de Corydon.
14. Rappelons le vers fort juste
de Boileau : « Tout protestant fut pape, une Bible
à la main. » (Satires, XII, v. 22).
15. Paludes,
in Romans, récits et soties..., Pléiade, p.
114.
16. Voir Alain Goulet, « Ces
faux-monnayeurs... qui sont-ils ? », Cahiers du
CERF XXe, n° 4, 1988.
17. Cf. « Considérations
sur la mythologie grecque », Morceaux choisis.
NRF, 1921, p. 191.
18. A ce passage, qu'il faudrait
citer plus longuement, ajoutons notamment ceux de la p. 90
(« je connais trop bien Amélie »...etc...),
et de la p. 102-104 (« Sarah ressemble à sa
mère"... etc...).
19. Journal 1889-1939, Pléiade,
p. 656.
20. Voir L'Être
et le Néant, lère partie, notamment : « Je
fuis pour ignorer mais je ne peux ignorer que je fuis et la fuite
de l'angoisse n'est qu'un mode de prendre conscience de l'angoisse.
[...] Je puis disposer d'un pouvoir néantissant au sein de
l'angoisse même. Ce pouvoir néantissant néantit
l'angoisse en tant que je la fuis et s'anéantit lui-même
en tant que je la suis pour la fuir. C'est ce qu'on nomme
la mauvaise foi. » (Gallimard, p. 81-2).
21. D'où sa tentation de
dénégation obstinée, lorsqu'il veut nous persuader,
par exemple dans son «Projet de Préface »,
qu'il a écrit son livre dans un « état d'anachronisme ».
Mais on peut aussi noter que c'est précisément sur
cette affirmation de mauvaise foi qu'il abandonne sa Préface,
qu'il ne publiera jamais. De même, au cours du colloque, Michel
Drouin me rappelle cette lettre à Raymond Bonheur, du 30
déc. 1919, dans laquelle Gide parle de « l 'intellectualité
que comportait ce sujet » qui lui « a fait traiter
ce livre comme un véritable pensum. » (Le Retour,
Ides et Calendes, p. 105).
Alain GOULET, professeur de littérature française à
l'Université de Caen, est l'auteur de nombreuses études
sur l'oeuvre d'André Gide, notamment : « Les
Caves du Vatican » d'André Gide. Etude méthodologique.
Paris, Larousse, "Thèmes et textes", 1972 ; Giovani
Papini juge d'André Gide. Lyon, Centre d'Études
Gidiennes, l982 ; Fiction et vie sociale dans l'oeuvre d'André
Gide. Paris, Minard, "Bibliothèque des Lettres Modernes",
1986 ; (et Publications de l'Association des Amis d'André
Gide 1984-1985) ; Les Faux-Monnayeurs mode d'emploi.
Paris, SEDES, 1991 ; Lire Les Faux-Monnayeurs de Gide.
Paris, Dunod, 1994. Il prépare actuellement un cédérom:
Edition génétique
des Caves du Vatican d'André Gide, qui sera diffusé
par Gallimard fin 2000.
Ses
autres publications et ses directions de travaux portent sur la
littérature française du XXème siècle
(Beckett, Robbe-Grillet, Sarraute, Duras, Perec, Modiano, Le Clézio,
S. Germain ... ).
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