La Gazette de France

[1926 ?]

 

P.B.

 

Les Faux-Monnayeurs, par André Gide (N.R.F.)

 

Voilà un livre qui fit un grand bruit, et qui le mérite. Certains écrivains, comme M. André Gide, sont ainsi faits, qu’ils ne peuvent rien donner qui ne soulève la curiosité et les passions.

Les Faux-Monnayeurs, c'est un roman long, touffu, déplaisant et attachant. Les principaux personnages en sont de tout jeunes hommes, et chaque fois que paraissent sur la scène littéraire les tout jeunes hommes on commence par admirer l'audace de l'auteur. Cet âge de la vie qu'on appelle si justement l'Age Ingrat, est le plus difficile à saisir. Certes, il est meilleur, pour le connaître de l'avoir dépassé, mais on peut craindre cependant, que M. André Gide ne l'ait vu d'un regard un peu vieilli.

Nous ne raconterons pas le sujet du livre : il y en a plusieurs ; les personnages, que l'auteur, on le sent, a voulu nombreux, se rencontrent et se touchent par mille liens, pas toujours très logiques, et le lecteur reste longtemps avant de se reconnaître dans un embrouillement subtil d'événements et de passions. Pourtant, une fois franchies les premières pages, il se laisse séduire, et accompagne, jusqu'aux extrêmes, les douloureux acteurs du drame. Les voici, à peu près :

Les jeunes lycéens Bernard et Olivier, qui se laissent assez facilement corrompre ; le petit Boris, maladif et déjà trouble, que ses camarades, par une plaisanterie poussée trop loin obligent au suicide, la famille du pasteur Vedel où M. Gide (qui s'efforce de répudier tout ce qu'il doit à son éducation protestante) accumule toutes les laideurs, plus quelques autres comparses plus ou moins consistants ; on voit que les héros ne nous entraînent pas dans une atmosphère très pure. Seul, le père Lapérouse, un vieux professeur usé et tremblant est émouvant et grand dans sa misère.

On dira que l'œuvre d'art n'a pas à compter avez les règles de la morale. M. Gide, dans ce roman, a tout fait pour nous en convaincre. On peut cependant, et sans passer pour trop bégueule, ne pas le suivre dans cette doctrine aussi loin qu'il veut nous mener. On peut peindre l'horreur ; mais la simple laideur, c'est plus difficile. Quand il parle de certains vices, Proust peut nous transporter d'admiration ; M. Gide, au contraire, nous attriste.

Il reste que ce livre, qui n'est pas fait pour tout le monde, doit être lu par ceux qui aiment les Lettres, car aussi bien, André Gide est un écrivain trop riche pour que toute œuvre de lui, même imparfaite, ne contienne pas des pages étonnantes, pénétrées de cet accent mi-biblique, mi-diabolique, qui est inimitable.

M. Gide, qui sait la valeur des mots, donne le premier rôle dans son roman, à un personnage mystérieux et invisible qu'il ne craint pas d'appeler de son vrai nom : « le Diable ». Vous voilà prévenus ; mais vous pourrez approcher tout de même.