Durendal

1903

 

Charles de Spirmont

L’Immoraliste, par André Gide (Paris, Mercure de France)

 

Il convient de louer l’art exquis de ce livre. Le style de M. Gide a la valeur, la couleur et le rythme. Qu’il se plaise à décrire les jardins ombragés de palmiers où les petits Tunisiens s’ébattent en plein soleil, ou bien les côtes de la Sicile, se déroulant avec mollesse dans l’ineffable pureté du ciel et de la mer, ou bien encore les gras pâturages arrosés de frais ruisseaux et les vergers de pommiers de la verte Normandie, il donne de ces beaux lieux au charme varié une impression complète qui ravit tous les sens. On respire l’air de ses paysages, comme on goûte la saveur des brises qui les caressent, comme on y hume avec volupté l’arome des fruits et des fleurs. La phrase, délicieusement française, car M. Gide est l’un de ces puristes que l’on pourrait appeler classiques de demain, se conforme harmonieusement aux détours les plus capricieux de la pensée. On se plaît à lire, à relire lentement, pour mieux en apprécier tous les charmes.

 

Mais M. André Gide est autre chose qu’un styliste, c’est aussi un ironiste, qui, dans le cas présent tend à moraliser. Ici nous ne tombons plus d’accord avec lui. Son Michel nous paraît un piètre sire, et notre sympathie s’en va de suite à sa femme, cette gracieuse et douce Marceline, que son égoïsme traîne à la mort. Que la maladie ait transformé l’intellectuel qu’il était en un impulsif, vivant uniquement et voluptueusement la vie physique, dégagé des lois morales dont il finit par ne plus avoir notion, allant jusqu’à braconner sur ses propres terres, – ce qui paraît bien le comble de l’immoralisme, – cela n’atténue que légèrement la répulsion un peu agaçante qu’il nous inspire. Aussi bien M. Gide ne l’approuve-t-il pas, sans toutefois le blâmer. Et l’on devine, penché au-dessus de ses pages, l’indéchiffrable sourire de son ironie.

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