La Force Française
10 septembre 1920 Jean-Jacques Brousson
M. André Gide était déjà égoïste
renforcé avant cette terrible clavelée d’égoïsme. Et peut-être est-ce
lui qui a communiqué le microbe à ses innocents confrère. On ne peut
dénier à l’auteur de la Symphonie pastorale et de la probité littéraire,
et des dons d’écrivain, de psychologue et d'affabulateur. Par ces temps
de particulière indigence, il y a là plus qu'il ne faut pour former
non pas un grand, un parfait écrivain. M. André Gide est-il un parfait écrivain ?
Non. La tyrannie du moi neutralise chez lui la véritable création.
Quelque sujet qu'il traite, c'est toujours l'inévitable André Gide,
en contemplation devant son nombril comme Bouddha. De là cette unité morfondue
de style frigide, compassé, ce manque de verve, — j'allais
dire de tempérament, — ces intrigues, à la fois simplettes et bizarres, dont les nodosités
ne forment point un véritable nœud. La Symphonie
pastorale, c’est l'aventure d'un
pasteur suisse abondant en doctrines et en enfants, qui découvre,
au chevet d'une agonisante, une aveugle-née, quasi muette, jeunette,
belle et sauvage. Comme le bon Samaritain, il la ramène au
logis. L'Évangile ne dit pas comment Mme la Samaritaine accueillit
Monsieur son mari quand il lui rapporta, en guise de petit cadeau,
le malheureux trouvé gisant sur le chemin. Mais le génial Rembrandt
est plus précis sur ce point. Dans le célèbre tableau du Louvre,
la mégère Samaritaine, du haut de la lucarne, semble réciter, à son grand nicaise d'époux, la plus véhémente
des litanies. Mais que serait-ce, bon Dieu ! si, au lieu d'un
blessé, monsieur avait rapporté, sur sa haridelle, une verdissante
mignonne, pouilleuse et muette, il est vrai ? Mais, comme dans la
Symphonie pathétique on s’applique à l’épouiller et à la catéchiser.
Même le pasteur déploie, dans cette œuvre de miséricorde, un zèle
qui n'est pas très huguenot. Ai-je besoin de dire le reste à mon
lecteur ? Le printemps vient, et aussi l'amour. La sauvageonne
fait beaucoup de chemin en peu de temps. L'hébétée, l'ignorante devient,
tout soudain, extrêmement savante, perspicace et lyrique. C'est un
grand professeur pour filles arriérées que messire Cupidon. Bref ! la voilà coiffée de son révérend protecteur. Mais on l’opère de
la cataracte. Elle voit. Elle voit que le pasteur est vieilli, podagre… que,
par contre, le fils aîné du pasteur est dans la fleur du bel âge… Et
elle dit au père : « Je me suis trompée ! C'est votre fils que j'aimais en vous quand
j’étais aveugle... Et puis, je ne veux pas faire de peine à Mme votre
femme ! » Et, pour finir le roman, elle se jette à la rivière. C'est le fils du pasteur qui présidera à ses obsèques catholiques,
car il a changé de religion, par jalousie. Dans ce roman éclate
l'infirmité de la méthode égotiste. Sans doute, il est très expédient
pour l’auteur de prétexter un manuscrit découvert dans un secrétaire...
En littérature les secrétaires ne ferment pas : ils ne gardent
jamais les secrets. Mais que cette continuité de style est monotone :
je je... ! Elle détruit, par avance, tout l'intérêt des péripéties.
Quoi qu'il arrive, on est fort rassuré sur le sort de celui qui rédige
soigneusement ses confidences. Pour si mal en point soit-il, physiquement
ou moralement, il gagnera toujours, on le sait, l'épilogue. Cette faiblesse de composition
est moins, sans doute, apparente quand le roman affecte la forme épistolaire.
Là, en effet, il y a la lettre et la réponse. Cela fait deux styles,
deux caractères. Nos auteurs, si pleins d'eux-mêmes, sont-ils incapables
d'animer deux personnages ?
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