Les Nouvelles littéraires

5 décembre 1936

 

René Lalou

 

Le Livre de la semaine

 

Une seule enveloppe apporte aux critiques les trois plus récents ouvrages d’André Gide : Nouvelles Pages de Journal, Geneviève et Retour de l'U.R.S.S.. Littérature d'abord : parlons donc de Geneviève.

Son héroïne n’est pas une inconnue pour nous : à en croire Gide, ce fut elle qui lui confia les deux cahiers écrits par sa mère en lui suggérant de les publier sous ce titre : l'École des Femmes. Le livre appelait un supplément : Robert apporta la réponse du mari conformiste au journal de l'épouse qui l'accusait d'hypocrisie. Aujourd'hui, Gide feint que Geneviève lui ait adressé « le début d'un récit en quelque sorte complémentaire ». Le troisième volet du triptyque semble donc, au premier abord, la confession d'une jeune fille.

Mais ce n'est là qu'une apparence. Geneviève, en effet, raconte la crise de sa seizième année ; mais elle le fait dix-huit ans plus tard, mêlant ses réflexions de femme aux souvenirs de son adolescence. Or, elle-même reconnaît que la « situation de la femme a changé considérablement depuis la guerre ». Observant que sa mère pouvait seulement, vers 1894, « souhaiter sa liberté », elle ajoute : « à présent, il ne s'agit plus de la souhaiter mais de la prendre. » Nos jeunes contemporaines penseront sans doute que ce stade-là aussi est dépassé. Car le problème pour elles est de savoir exercer une liberté qu'on ne leur refuse plus. L'histoire de Geneviève leur paraîtra moins une « École ces jeunes filles » qu'un précieux témoignage sur une époque de transition.

Il comprend deux épisodes, habilement reliés. Geneviève fait revivre sa première passion pour une amie de lycée dont ses parents la séparent quand ils apprennent que Sara, fille du peintre Keller, a posé nue devant son père. Doit-on mépriser les bourgeois de 1913 d'avoir été gênés par cette révélation ? J'ai plutôt l’impression que, dans les aveux de Geneviève, les traits de sensualité féminine sont introduits avec quelque arbitraire et servent moins la volupté que la morale. Comme on la sent mieux à l'aise lorsqu’elle décrit cette « embardée de son esprit » qui la conduit à proposer au docteur Marchant de la rendre mère, afin de se prouver son droit à disposer d'elle-même !

Car son imagination, bien plus que ses sens, était engagée dans les deux phases d'une lutte pour ce qu'elle nommait « l'indépendance féminine ». Mais une émouvante surprise nous attend lorsque sa mère lui laisse deviner, par une « confidence inachevée », que depuis longtemps le docteur et elle s'aiment d'un amour sans espoir. Que la jeune impulsive ait brutalement accroché « tous ces fils mystérieux et fragiles tissés secrètement de cœur à cœur », c'est la véritable tragédie de Geneviève. Sobrement évoquée, elle achève sur une note de pathétique humain ce récit où l'auteur et sa collaboratrice imaginaire veulent que nous trouvions un « avertissement », afin que le roman de Geneviève puisse compter parmi les « traités » d'André Gide.

 

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