La Gazette de France

6 juillet 1892

 

Fontanelle

 

M. André Gide a donné à vingt ans un singulier petit livre. Les Cahiers d'André Walter, qu'il intitulait « œuvre posthume ». C'était le journal d'un adolescent trop sensible, amoureux, qui sombrait dans la folie et dans la mort, à la suite de la disparition de l'âme sœur. M. Gide avait peint une âme sœur pleine de grâce. Elle avait nom Emmanuèle et elle accomplissait en elle tous les souhaits de son ami. Tous les jeunes gens ont aimé cette douce figure, un peu parente de l'Amélie de René et de la Madeleine de Dominique. Et Les Cahiers d'André Walter furent aimés pour l'amour d'elle.

Aujourd'hui, le nouveau Joseph Delorme nous présente Les Poésies d'André Walter; et il faut regretter que M. André Gide n'ait pas renoncé à sa petite supercherie, maintenant qu'elle est découverte Il eût mieux valu simplement signer ces vingt pièces sans plus d'affectations funéraires ni de notes lacrymatoires. Elles sont du reste charmantes et quelquefois d'une bien touchante mélancolie. M. André Gide excelle à se pleurer lui-même. Le Traité du Narcisse qu'il publie, en même temps que les Poésies, le montre assez. C'est une veine d'élégies qu'il ne faudrait point trop saigner, de crainte que la source de nos larmes ne soit tarie le jour où M. Gide prendra son congé de la vie.