L’Art moderne
[1892]
I.W.
Livres et brochures. Les Poésies d'André Walter. Oeuvre posthume.
Il a dû les
écrire pour lui-même, comme un journal, ces vers intimes qu'il n'a
pas eu le temps, qu'il n'a peut-être jamais eu la volonté de corriger.
Il a cherché, la vie lui a paru obscure, il a douté et la pensée est
venue. Ce devait être un vrai poète. Dans les heures
d'attente, d'incertitude, de recherches fatigantes et stériles, ses
vers tombent sans rythme, sans allure, presque sans forme. Dès qu'une
pensée qu’une clarté se fait jour dans son esprit, le vers se redresse,
s'équilibre et s'affirme, simple, naturel, complet. Lisez le paragraphe
qui commence ainsi :
Nous sommes deux pauvres petites âmes Que ne réchauffe plus le bonheur; Nous sommes deux pauvres âmes Qui ne savons plus être heureuses.
Il se demande
tristement, confusément, ce qui lui manque et peu lui chaut que ses
rimes soient accouplées et que les pieds de ses vers soient comptés.
Mais une lueur se fait, la pensée trouve son rythme. Celle-là, il
se l’est répétée tout haut ; celle-là, il aurait voulu la rendre moins
mortelle que lui :
Tu m'as dit : Ecoute, je crois Nos âmes très mystérieuses; Peut-être qu'elles sont heureuses Et que nous ne le savons pas.
Et encore :
Où sont donc allés tous les autres? Ils ont dû suivre quelque apôtre, Qui les aura guidés sans doute A travers les tournants des routes. Ils auront retrouvé les normales paroles Qu'on nous avait dites un soir, Mais que nos cervelles folles Ont laisse négligemment choir.
Puis, quand
après avoir erré longtemps et cherché une vie plus forte, ils veulent
rentrer dans l'Eglise aperçue au loin, la porte en est fermée; ils
sont encore dans la nuit avec leurs petites lumières éteintes, et
dans un mauvais rêve d'êtres abandonnés. Alors résonnent ces mots
symboliques qu'on oublie difficilement par ces temps où grandit la
compréhension de la personnalité :
Tu m'as dit : Je crois que nous vivons dans le rêve d'un autre Et c'est pour cela que nous sommes si soumis.
Et la tristesse,
l'impuissance à percer cette nuit qui l'entoure le reprenant, il laisse
lourdement, brutalement tomber ces derniers vers :
Je crois que ce que nous avons de mieux à faire Ce serait de tâcher de nous endormir.
Comme tant d'autres de son siècle, il a cherché,
il n'a pas trouvé et le sommeil l'a pris, le vrai sommeil où l'on
ne se fait plus de questions.
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