L’Echo de Paris

[11 mai 1901]

 

Lucien Muhlfeld

 

L’Œuvre ( au Nouveau Théâtre) — Le Roi Candaule, drame en trois actes

de M. André Gide.

 

A Paris, universel et divers, quelque chose manquerait, n'en doutez pas, le jour — jamais, j'espère — où M. Lugné-Poe renoncerait à organiser les curieuses soirées de l’Œuvre. Curieuses, certes; et, somme toute, louables. Par les soins de l'Œuvre, nous avons entr'aperçu quelques fragments des dramaturgies étrangères, celles de maîtres lointains, de disciples aussi, barbari minores ; et nous avons subi l'audition de dialogues, scéniques ou autres, façonnés par des poètes de France et de Belgique. Le cadre, pas onéreux — on le conçoit, du reste — est, à l'Œuvre, souvent original, et, dans le décor, s'agitent des comédiens plus épris d'art qu'experts en diction. A cela les théâtres réguliers font repoussoir, ou vice-versa.

Il y avait, aujourd'hui, pas assez de lumière mais de l'ingéniosité dans la mise en scène du Roi Candaule. Mlle Roggers y parut jolie. Pour Lugné-Poe et pour de Max, qui jouaient les protagonistes, on les connaît, avec leurs « limites » et leurs mérites. On sait leurs procédés de déformation somnambulique. On sait aussi, mais il est bon de le rappeler en tendant les couronnes dues, l'empressement artiste avec lequel ils se dévouent à tout ouvrage d'art nouveau.

J'imagine que par une fantaisie dernière, M. Gide, humoriste superfin, imposa à ses acteurs une interprétation trompeuse et cocasse. Plus circonspect, l'éditeur nous communiquait des brochures dans les couloirs. Si j'ai écouté avec assez de peine, j'ai lu avec beaucoup d'agrément. J'ai retrouvé dans le Roi Candaule (dont le titre, homonyme, évoque les plus fines gaietés de Meilhac, d'Halévy et d'Alice Lavigne) ces lyrismes glacés, l'agnosticisme passionné, les mots de cristal et les notes d'humour par quoi l'écrivain d'André Walter, de Paludes d'Urien, du Prométhée mal enchaîné s'apparente à Fénelon et à M. Franc-Nohain. M. Gide est le constant moraliste aux plus imprévus et nonchalants aphorismes. On pourrait détacher de son drame, comme de ses précédents papiers, cent versets d'une éthique bizarre, que le ton dont ils sont dits font nécessaires. Ce qui resterait, « le drame », comme il dit par une autre drôlerie, compte peu puisqu'il ne compte pas prodigieusement. Gygès est pêcheur, Candaule est son roi, Nyssia sa reine. Dans la truite apportée par Gygès, Candaule trouve l'anneau qui rend invisible. Candaule est « une nature donnante ». Il veut que Gygès mette à son doigt la bague et qu'il connaisse la beauté de Nyssia. Elle fait son effet, la bague de Perlinpanpan. Candaule, amphitryon conscient et volontaire, devient tel que sa générosité le souhaitait. Il rime richement avec « vaincu ». Nyssia, avertie et outragée, le fait tuer par Gygès invisible.

La fin, en guignol dramatique, me gâte un peu l'anecdote joliment aérée où passent tour à tour des souffles de métaphysique et des vents d'opérette. Caillavet, de Flers ou Vély auraient là-dessus bien tourné leurs couplets. Fantaisie littéraire, en somme, et d'une grâce point quotidienne. M. Gide se moque du théâtre, qui le lui rend bien. « Si l’on m'applaudissait — écrit-il en une préface translucide et gentiment hautaine — c’est qu'il y aurait malentendu ». La méprise ne s’est produite que du fait des amis, enfants terribles, évidemment.

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