Le National

[11 mai 1901]

[article également publié dans Le Monde artiste et La Dépêche]

 

Edmond Stoullig

 

L'histoire, ou la fable, nous montre, dans Candaule, un roi de Lydie si vain de la beauté de sa femme qu'il la fait voir toute nue à Gygès, son favori. La reine, indignée, donne à Gygès l'ordre de poignarder son indiscret époux, et s'unit ensuite avec le meurtrier, ainsi devenu le fondateur de la dynastie des Mermnades, succédant à celle des Héraclides. Le roi Candaule de M. André Gide est plus extraordinaire encore que celui d'Hérodote. Montrer sa femme toute nue ne lui suffit point ; il n'est heureux, parfaitement heureux que lorsqu'il se sait cocu, aussi cocu qu'il est permis de l'être à un brave mari fût-il, comme Candaule, aussi riche que Crésus.

La chose, au dire de M. Gide, serait rendue possible au moyen d'un anneau qui rend invisible celui qui le porte à son doigt. Comment la reine a-t-elle pu se donner ainsi à un être intangible ? Dans Amphitryon, Jupiter prend les traits de son hôte. Sous quelle forme Gygès peut-il bien être l'amant de Nyssia, puisqu'il reste invisible ? Tout cela n'est pas clair, pas plus, d'ailleurs, que le « symbole » ou la « morale » du poète de l'Œuvre. Veut-il prouver que le sage doit cacher son bonheur ? Candaule est-il un type d'imprudente vanité ou d'incomprise bonté ? Nous avons vu la pièce, et n'avons pas su démêler la véritable pensée de l'auteur. C'est donc qu'elle est quelque peu entortillée...

M. de Max était venu tout exprès pour jouer Gygès, où il a été fort bien, cette fois, sans aucune exagération. — Notons la déception du public qui, vu le sujet, s'attendait au « coucher de Nyssia » et n'a eu, pour tout régal des yeux, que les jambes bleues d'un courtisan du roi Candaule. Entre le premier acte, où cette nudité avait heureusement passé à peu près inaperçue, et le dernier, où elle produisit une sensation plutôt pénible l'artiste en question eût dû, vraiment prendre le temps d'aller, décemment passer une culotte…

 

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