La Cocarde

[14 mai 1901]

 

[anonyme]

 

NOUVEAU-THEATRE. Le Roi Candaule, pièce en trois actes de M. André Gide

 

M. André Gide nous donne une nouvelle version de la légende de Gygès et du roi Candaule.

Candaule est un puissant roi de Lydie, riche et heureux d’un bonheur si constant qu’il en a peur. Il est bon et souffre de n’avoir pas un véritable ami. Il voudrait aussi partager sa félicité, la répandre autour de lui ; c’est pourquoi dans un banquet il montre à ses courtisans la reine Nyssia, jusqu’ici, suivant la coutume, jalousement gardée dans les appartements secrets du palais.

A ce même banquet un des convives tout à coup trouve dans un poisson un anneau sur lequel sont gravés des mots mystérieux.

Le roi Candaule demande qui a pêché ce poisson. On lui amène un malheureux, Gygès, auquel le roi s’intéresse bientôt si vivement qu’il en fait son favori et son ami.

Il lui confie alors un grand secret. Cet anneau à l’inscription mystérieuse rend invisible celui qui le porte à son doigt : et comme Candaule veut partager avec son ami tous les sujets de joie, il lui prête la bague, grâce à laquelle Gygès, sans être vu, pourra voir la reine Nyssia aussi intimement  que le roi lui-même. Gygès, amoureux de la reine, ne rend pas l’anneau à Candaule.

Bientôt même il ne peut supporter d’être un simple ravisseur d’amour ; il veut être aimé de Nyssia : il se dévoile, à ses pieds et elle, offensée par la trahison de son mari, ordonne à Gygès, de le tuer.

Gygès se rend invisible grâce à son anneau, tue le roi et prend la pourpre à sa place sur l’ordre de Nyssia. C’est ainsi qu’il succède dans le lit et sur le trône à Candaule, son bienfaiteur.

On voit que, dans les grandes lignes, M. André Gide a suivi l’antique légende, un des plus féconds arguments que puisse trouver un poète. De l’anneau de Gygès on peut tirer une féerie délicieuse aussi bien qu’un drame philosophique élevé. C’est le drame qui a tenté M. André Gide, mais il ne l’a pas vu sous tous ses aspects et ne l’a pas traité à notre gré avec assez de largeur.

Il y a vu d’ailleurs autre chose qu’une aventure d’amour et d’ambition. Sa théorie sur le bonheur est d’un savoureux et subtil pessimisme ; il a bien exprimé le néant surtout par la bouche de l’infortuné roi de Lydie dont la légende est certainement une des plus douloureuses de l’humanité.

Plusieurs scènes sont saisissantes, celle où le roi Candaule, M. Lugné-Poe, raconte la découverte qu’il vient de faire de l’étrange propriété de l’anneau : celle où M. de Max, qui a fait une très curieuse création de Gygès, accepte d’exécuter ce que lui ordonne le geste impérieux de Mlle Henriette Roggers, une Nyssia tour à tour froide, caressante et violente ; celle où les courtisans conversent, avec [un brin de] fantaisie [mot illisible], sous les traits de MM. Sullart, très bien disant, Edmond [mot illisible], Charpenal, Cherville, Juhan.

Et nous pourrions en citer d’autres très [mots illisibles], dans le beau drame de M. André Gide.

Retour au menu principal