La Jeune révolution

Mai-juin 1933

 

Jean Regany

 

André Gide Aujourd’hui

 

La « conversion » de Gide au communisme est sans doute la marque d'une époque dans l'évolution des idées de l'aristocratie intellectuelle de notre siècle — le début peut-être d'un snobisme de la « gauche », des Soviets, dont on parle déjà et dont nous profiterons.

 

Fin de siècle, Gide sera l'homme que l'on citera comme le plus caractéristique d'une époque de transition, le témoin d'une heure vraiment décisive dans le progrès des idées et des réalisations prolétariennes. Cela nous est une grande joie. Nous en oublions un peu, faut-il le dire, Gide lui-même. D'ailleurs il a trop longtemps été loin de nous, l'idole d'une certaine jeunesse curieuse et froide, que nous méprisons, pour qu'il nous soit facile de nous enthousiasmer aujourd'hui pour un homme qui ne peut plus guère nous apporter que son nom. Puis le livre des « Nourritures » ne nous a pas trop servi. Nous étions déjà libérés avant et ce « oui » à la vie que Gide nous conseille nous l'avions crié, trop souvent, les poches et le ventre vides. La vie était à d'autres qui riaient de nous. Pour en manger un peu nous avons dû nous battre. Nous nous battons encore, toujours, dans le noir — trop souvent — dans la misère ! De notre ardent désir de vie, d'amour, de beauté, « eux » ont fait de la haine une révolte.

 

Ainsi nous avons pu sourire de ton « drame », de tes recherches d'un drame, de toutes ces « tentatives » que sont tes livres pour rentrer un peu dans la vie. Il t’est venu, tardivement, le sens de la vraie misère, des vraies souffrances de l'Homme. Tu obéis, ce faisant, à ton devoir de vrai clerc qui sent couler à travers lui le courant d'idées, de son siècle et leur prête aussitôt sa voix.

 

A l'heure où tant d'autres trahissent parce qu'ils ont peur ou parce qu'ils sont à bout de souffle, tu prends conscience enfin de la vie des Autres — ces Autres que ton éducation, ton entourage, la Société, l'Art, ta propre vie, si longtemps, te forcèrent à oublier.

 

Tu viens à nous sachant pourtant que nous méprisons la littérature et que nous restons malgré tout, loin de toi. Nous t'acceptons parce que nous ne méprisons aucune aide et que nous faisons confiance à tous ceux qui nous tendent la main.