Candide

Juillet 1933

 

Fernand Vanderem

 

Parmi tant de commentaires soulevés par la conversion de M. André Gide au bolchevisme, un silence avait surpris. C’était celui du recueil dont M. Gide est à la fois le grand manager spirituel et le grand manitou — autrement dit la N.R.F.

 

Certes, le nouveau profès avait bien publié dans les pages de celle-ci son adhésion au communisme, puis ultérieurement, pour se justifier, quelques ergotages d'ordre exégétique. Cependant, sur le cas, la N.R.F. persistait à ne pas se prononcer. Et pour cause. Car désavouer le pivot de la maison, impossible. Mais se solidariser avec lui, du côté abonnés, quels aléas !

 

Bref, comprenant, je suppose, que ce mutisme ambigu ne pouvait se prolonger indéfiniment, la N.R.F. vient de se résoudre à donner son sentiment officiel sur la question dans un long communiqué dont elle a confié le soin à un des plus brillants gradués de son état-major universitaire, M. Ramon Fernandez. Choix particulièrement heureux, M. Fernandez ayant montré d'emblée, pour ses débuts dans cette branche, un tact et une adresse à faire pâlir d'envie le maître du genre, M. Jean de Pierrefeu.

 

Loin de recourir, effectivement, à un vulgaire plaidoyer qui risquait de mettre le patron en posture d'accusé, M. Fernandez nous présente sa conversion non seulement comme l'évolution la plus normale, mais comme l'aboutissement infaillible de toute son œuvre et de toute sa carrière.

 

Tels certains héros de la mythologie, que menait, à leur insu, une destinée inexorable, M. Gide, dès le berceau, aurait été voué au marxisme final et, en y atteignant sur le déclin de l'âge, il n'aurait fait que boucler un périple voulu par les dieux. Ce dont, à première vue, en vérité, il était difficile de se douter. Dans les molles et vagues aspirations du jeune André Walter, qui eût, en effet, présagé le futur séide de Lénine ? Et, de même, en lisant Si le grain ne meurt, qui eût soupçonné que les idylles avec le gosse de la concierge ou les lutinages de petits Arbis ne constituaient que des préludes au maniement de la faucille et du marteau ?

 

Mais par nombre d'autres textes empruntés aux ouvrages du néophyte, M. Fernandez nous démontre, sans conteste possible, que M. Gide n’avait pas le choix des nuances et que, tel le mouton de Candide, il ne pouvait et ne devait qu'être rouge. Si bien que ce qui ne nous avait paru chez lui qu'une lubie fortuite de dilettante, prend peu à peu un caractère de fatalité devant lequel tout le monde ne saurait que s'incliner.

 

Seulement, pourquoi l'habile porte-parole de la N.R.F. a-t-il gâté cet ingénieux communiqué par une conclusion exprimant la crainte que, sous le joug des doctrines bolchevistes, M. Gide ne perde sa liberté d'esprit ? Outre que c’est terminer sur une note pénible, ce n'est pas sérieux. Car, si M. Gide était vraiment homme à s'asservir ainsi aux principes de son nouveau parti, n'y a-t-il pas beau jour qu'il eût résigné tous ses biens de fortune et ne serait-il pas, depuis des mois, à piocher dans les houillères de l'U.R.S.S. ?