Candide

1er novembre 1934

 

[Anonyme]

 

Gide chez les communistes

 

Grande séance, l'autre soir, chez les écrivains d'obédience moscoutaire. Les délègues au récent Congrès des écrivains soviétiques rendaient compte de leur mandat. Et la séance était présidée par M. André Gide. Tout le bolchevisme intellectuel avait donné : non seulement les bataillons de la pègre internationale qui remplissent ce genre de meetings, mais la fine fleur des salons d’extrême gauche, en grande toilette. « Mince, disait un militant, y en a, des poules aux diams ! »

 

On reconnaissait, sur l'estrade, autour de M. Gide, Mme Andrée Viollis, chevalier de la Légion d'honneur ; Mme Edith Thomas ; M. Édouard Dujardin ; M. Paul Gsell, chevalier de la Légion d'honneur ; M. André Malraux ; M. Jean Cassou ; M. Léon-Pierre Quint ; M. René Lalou ; M. Jean Guéhenno ; M. Henri Jeanson ; M. Luc Durtain ; M. Georges Pillement.

 

A vrai dire tous ces messieurs et ces dames ne méprisent pas absolument la bonne galette bourgeoise. Mme Andrée Viollis émarge au budget d'un quotidien qui est une grosse entreprise capitaliste. M. Paul Gsell, M. Jean Cassou, M. René Lalou sont retraités ou fonctionnaires du régime que le communisme veut mettre en pièces, et tous sont lauréats ou solliciteurs de prix distribués par l’infâme bourgeoisie. Au moins, ce soir-là, ces esclaves de la tyrannie capitaliste avaient la satisfaction de libérer leur conscience.

 

Le discours de M. André Gide ne parut pas manifester un zèle très chaud pour la révolution communiste. On l'applaudit néanmoins poliment. Puis un délégué ouvrier vint s'excuser auprès de l'auteur du Traité de Narcisse de ne pas avoir beaucoup pratiqué son œuvre : c'est la faute au régime bourgeois, qui refuse la culture aux prolétaires et qui ne les paye pas assez pour qu'ils puissent acheter les bouquins d'André Gide. M. Gide a été très touché, mais personne ne l'a vu prendre le nom de cet admirateur de bonne volonté pour lui envoyer ses œuvres complètes.

 

M. André Malraux a été catégorique. Il a affirmé sur un ton qui ne souffrait pas de réplique que l’U.R.S.S. est le pays du désintéressement absolu. Un pays sans doute où les archéologues ne sont pas collectionneurs de bas-reliefs...

 

La séance s'est achevée par une vibrante Internationale. Tout le monde faisait le salut communiste, le bras plié en deux et le poing en l’air. M. Gide serrait le poing fort congrûment, les lèvres aussi, sans s'associer aux chanteurs de l'hymne révolutionnaire. Cette abstention a fait assez mauvais effet.

 

Les écrivains soviétiques étaient surtout représentés par Vladimir Pozner et Ilya Ehrenbourg. On sait du reste que ceux-ci fréquentent plus volontiers Montparnasse que les bords de la Neva.

 

Mais le lendemain on murmurait dans les milieux « sympathisants » que Maxime Gorki y assistait « incognito »...

 

« Incognito », tout comme un souverain ou un prince en voyage !