La Revue Française 25 Octobre 1932
Robert Francis
Tandis que nous
débattons de ces graves questions, M. Gide termine son « Journal »
par un voyage à Carcassonne et au Maroc. Sur le ton de l'admiration
la plus pure, il nous rapporte une conversation avec son oncle qui tend
à nous présenter celui-ci comme une sorte d'ahuri sourd et muet, puis,
sans transition, il note « Haine du mysticisme... oui, sans
doute. Et pourtant mon angoisse est d'ordre mystique. Que tant de souffrances
puissent demeurer vaines, cette idée m'est intolérable. » Et
le lendemain, comme si l'oncle Charles, la haine du mysticisme et le
chemin de fer P.L.M. conduisaient tout naturellement à l’U.R.S.S. :
« J'ai donc lu le numéro antisoviétique de Je Suis Partout.
Suivent deux pages d'apologie soviétique sur ce thème : puisque
les adversaires du communisme disent qu'il n'est ni prospère, ni aimable,
ni juste et au surplus incapable de fabriquer des machines qui fonctionnent
c'est évidemment qu'il fait le bonheur de la Russie car s'il n'y réussissait
pas, ils ne le diraient pas si haut. Ils ont peur. Il est vrai qu'il
ne faut s'étonner de rien puisqu'un certain Joseph Latry vient de réfuter
Guéhenno en faisant intervenir saint Hilaire et le prophète Crée ! »
Après cette
démonstration péremptoire Gide confesse crânement son « incompétence »
en sciences économiques et politiques, mais puisque « un communisme
bien compris a besoin de favoriser les individus de valeur »
il n'y a pas lieu de s'inquiéter outre mesure. Il sait bien que
les « idées de Lénine triompheront des résistances que les états
d'Europe cherchent à leur opposer. » Cependant je défie M.
Gide de citer quelques-unes de ces « idées » de Lénine au hasard
de ses souvenirs, pour la bonne raison que Lénine n'en avait qu'une :
l'insurrection peut conduire au pouvoir que « l'athéisme seul
peut pacifier le monde aujourd'hui » et il conclut son Journal
qu'on pourrait appeler son « Journal d'un
assuré sur les accidents de constitutions, grèves, émeutes, changements
de régimes, etc. » par ces mots « Mais communiste de cœur
aussi bien que d'esprit, je l'ai toujours été ; même en restant
chrétien ; et c'est bien pourquoi j'eus du mal à séparer l'un de
l'autre et plus encore à les opposer. »
Nous sommes
de ces jeunes gens qui ont lu, il y a quelques années, les Nourritures
Terrestres et l'Immoraliste avec une certaine ferveur. Nous
pensons que le moment est venu de jeter sur M. Gide vieilli le manteau
de Noé.
Robert FRANCIS
P.S. Le mois
dernier on m'a fait écrire Kylenko pour Krylenko et on a dû supprimer
une note sur les manœuvres aériennes de Provence. Nous en parlerons
le mois prochain à propos du Ministère de l’Air.
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