La Gazette Aptésienne
17 décembre 1910
Alcippe
Autour des prix littéraires
Il est un peu tard pour parler du
prix de la Vie Heureuse et du prix Goncourt. Néanmoins nous
nous en voudrions de ne pas signaler les intrigues auxquelles a donné
lieu l’attribution de ces deux récompenses littéraires. Cette année, elles
ont dépassé en impudence tout ce qu’on avait eu les années précédentes.
On a pu croire un instant que Madame Marguerite Audoux, la « couturière
de génie », dénichée par M. Mirbeau bénéficierait à la fois de la
munificence de feu Goncourt et de celle de la Maison Hachette. L’auteur
de Marie-Claire cependant, n'a récolté, au Café de Paris, que deux
voix. Enfin consolons-nous, le monde entier a appris son existence, grâce
au tamtam assourdissant organisé autour de son nom : son livre se
vend aussi bien que Chantecler. Si le public ne se croit pas volé,
tant mieux pour lui — et pour elle. Maintenant il est admis que de jeunes
écrivains de talent peuvent mourir de faim ; ça n'intéresse pas les
reporters. Les petits journalistes sont devenus, en effet, personne ne
l’ignore, les marchands de la critique : ne nous étonnons donc pas
de leurs trouvailles et de leurs lancements. Dans les circonstances présentes,
il ont eu des auxiliaires précieux : tous les benêts, les ignares
et les faux raffinés qui se donnent l'illusion d'exister en subventionnant
de petites revues du genre de la Corbeille.
Les raisons qui ont conspiré à l’éclosion
de ce beau scandale sont multiples : leur étude s'imposerait au psychologue
qui voudrait sonder à fond l'âme de ce temps. En premier lieu, il y a
eu la joie, pour les ratés de la littérature dégringolés dans le reportage,
de trouver une romancière d'occasion à opposer aux professionnels véritables
et par le même coup aux belles madames qui se piquent d'écrire. La haine
du talent, la dérision de la beauté, le plaisir du mensonge tels sont
les mobiles qui font agir ceux qui se sont constitués les guides et les
directeurs de conscience d'un public de plus en plus égaré.
Chez Mirbeau, il y a autre chose :
quelque chose de sénile et de monstrueux : c'est très sincèrement
que ce maniaque de la tératologie s'est excité sur ces pauvres et plates
anecdotes d'orphelinat et de petites filles. Marie Claire exhibée
au public par le père de l'Abbé Jules et du Jardin des Supplices,
n'est-ce pas toute une apocalypse ?
Il fut donc de bon ton dans les
journaux de vanter Marie-Claire, et de crier au miracle.
Dure nécessité pour des gens qui ne s'entendent pas moins à baver
sur le vrai mérite qu'a entonner des louanges vénales. A qui faire payer tous ces dithyrambes ?
Il semble que ce doive être M. Louis Pergaud, le bouc émissaire. Ce jeune
homme, auteur du livre couronné par les « Dix », De Goupil
à Margot écope depuis quelques jours pour toute la séquelle des artistes
forcenés. Naturellement c'est fort injuste. Mais qui se soucie de l’équité
dans les grands quotidiens ? on y passe de l’attendrissement le plus
factice à la rosserie la plus félonne ; telle est la loi de compensation.
Tant pis pour qui passe à portée des crocodiles, une fois qu'ils ont déversé
le trop-plein de leurs glandes lacrymatoires...
Un fait déconcertant au milieu de
toute cette risible agitation. La Nouvelle Revue Française a voulu
railler M. Rémy de Gourmont dans un entrefilet intitulé Comment se
cuisine la gloire ! Voila qui est bien étrange quand on
sait que l'honorable André Gide a participé d'une façon très active, (en
faisant visites sur démarches auprès des Dix) à l’élection de Marguerite
Audoux... M. Gide espère-t-il nous faire prendre des vessies pour des
lanternes ? Nous voulons bien admettre que Madame Audoux fut
intéressante ; qu'elle eût des aptitudes au métier d'auteur-femme ;
qu'elle eût pu se développer avec de la culture etc. Mais de là au talent
et surtout au génie, il y a loin. Le bruit qu'on a fait autour d'elle,
les réclames de son éditeur, les articles, les interviews, tout cela est
du bluff, et du bluff le plus indigne parce qu'il est organisé par des
écrivains qui se piquent d'honneur et de probité littéraire. Comment
on cuisine la gloire ! C'est bien à vous d'en parler.
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