Mercure de France
1912
J. de Gourmont
Voici une deuxième série des Témoignages de
M. Marcel Coulon, où l’auteur s'affirme un de nos meilleurs critiques
actuels : nous pouvons l'écouter avec sécurité, il a toutes les
qualités d'uni guide littéraire : une profonde culture, et un
certain dogmatisme fait d'un scepticisme qui connaît ses raisons.
M. Coulon semble avoir voulu attendre la parfaite maturité de son
esprit et de sa culture avant de parler, avant de juger : nous
pouvons attendre de lui une analyse très personnelle de nos meilleurs écrivains
de l’instant. On retrouvera dans ce volume la subtile et souple étude
qu’il a consacré à Remy de Gourmont, et qui est peut-être la plus
compréhensive qu’on ait écrite sur son œuvre. M. Coulon, qui nous
dessine une amusante silhouette d’Octave Mirbeau chauffeur, réjouit
bien davantage encore notre intelligence en nous révélant le protestantisme
d’André Gide. Admirateur du talent de M. Gide, il dit avec sérénité les
mots qu’il fallait dire :
« Après avoir mis beaucoup
de temps et de talent à dissimuler sa nature, Gide décidément s’expose
au grand jour. Il avait volontairement perdu son chemin de Damas.
Il le retrouve. Sorti de la Bible, il y rentre. Issu d’une lignée
calviniste dont il a dû plus d’une fois [mot illisible] les
moins graves représentants, l’enfant prodigue songe à suspendre son
portrait dans la galerie de famille. Allons-nous le voir entre Théodore
de Bèze et Amiel ? »
M. Coulon continue :
« Sans parler de son charme
d’écrivain, Gide offre au point de vue pratique un avantage :
c’est d’avoir eu l’air de n’être pas de la maison et d’en avoir toujours été.
Ici je ne partage pas l’avis de M. Montfort. Gide nietzschéen, antichrétien
au beau sens de Goethe, allons donc ! Au plus perdu des dédales
spirituels où il s’est engagé, alors qu’il était le mieux Urien ou
Paludes, sa main tenait le fil d’un peloton solide. Le Nouveau Testament
gonflait sa poche. Quant au panthéisme des Nourritures terrestres,
vous me faites rire. Voyons, est-ce qu’on est panthéiste quand on
s’appelle Nathanaël ? »
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