Courrier Français

[19 mai 1901]

 

[Anonyme]

 

Nouveau-Théâtre

Le Roi Candaule, pièce en trois actes

de M. André Gide.

 

M. André Gide, ironiste passionné, doit être satisfait : Le Roi Candaule n'a gêné que ses interprètes et n'a été applaudi que par ses amis ; ceux-ci auraient même pu s'abstenir de manifester si banalement leur amitié; mais ils n’avaient pas tous lu, ironie appréciable, la préface du Roi Candaule.

M. André Gide ne méprise pas les insuccès faciles ; il appartient à cette pléiade d'auteurs qui s'enferment dans la tour d'ivoire sous prétexte d'opposition à la tour de Nesles. Afin d'éviter le soupçon du plagiat, dont ils effleurent M. Rostand, leur cadet de Gascogne, ils imitent M. Mallarmé, leur ancêtre de nulle part ! Le souvenir des conversations intimes de leur apôtre prête encore un peu de rythme à leurs manifestes autopubliés. Quel dommage que tant de talents s'évertuent à n'en montrer point !

M André Gide, comme beaucoup de ses congénères, est en forme pour accoucher d'une œuvre! Pourquoi veut-il recommencer indéfiniment le geste de la fécondation et en éviter le résultat ? Décidément, le code criminel devrait aussi prévoir ces cas singuliers d'avortements littéraires !

Je n'insiste pas sur la fable de l'auteur, qui nous montre le roi Candaule en quête de joies plus profondes que celles de la richesse et de la possession amoureuse, dont il est comblé ; mais j'insiste sur le chagrin que j'éprouve à voir des lettrés comme M. André Gide mettre tant de prétention au service de ce qu'ils croient être de l'originalité ! L'art est le plus vulgaire des métiers quand il est assujetti au moyen de parvenir.

Parmi les interprètes du Roi Candaule, je citerai surtout M. de Max dans le rôle de Gygès ; M. Lugné-Poé, qui a réussi à ne pas rendre ridicule sa situation de mari amicalement complaisant et Mlle Henriette Roggers, très belle et bien-disante.

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