La Caricature

[25 mai 1901]

 

Ludus

 

Cette semaine nous a apporté en pâture les seconds débuts de Mme Segond Weber dans Phèdre, le Roi Candaule, de M. André Gide, en trois actes, à l’Œuvre; la Closerie des Genêts de Fr. Soulié, à l'Ambigu; la reprise des Surprises du Divorce de Bisson et Mars, au Gymnase. Il y a dans tout cela bien de la vieillerie et peu de nouveauté. Phèdre, Candaule, toute l'antiquité ! Qui nous délivrera des Grecs et des Romains ? Il y avait une façon de comprendre le sujet du Roi Candaule. C'est celle de Meilhac et Halévy : les jeunes filles que la mère fait sortir de la loge pour qu'elles n'entendent pas les grivoiseries de la pièce, et qui sont emmenées au buffet par de jeunes gommeux qui leur offrent du Champagne. Ce n'est ni trop mythologique ni trop symbolique; c'est à point. M. André Gide a une toute autre conception de la vie, de la philosophie, de la bonté et de l'altruisme. Un mari qui a une jolie femme est un vilain égoïste s'il la garde pour lui tout seul. Il faut savoir être partageux et faire profiter les autres de son bonheur. Vous avez de l'argent ? Faites l'aumône. Vous avez une belle créature ? N'en jouissez pas tout seul, en égoïste, et songez à vos frères qui sont là tout prêts à devenir vos collaborateurs.

Cette conception élevée et chrétienne, au sens le plus charitable du mot, a de la nouveauté, de la profondeur, de l’à-propos. Et cela vous renouvelle toute une société. Quel aspect imprévu et neuf prend dès lors cet accident tragique ou burlesque qu'on nomme cocuage ! Ce n'est plus un malheur, c'est une gloire, un titre précieux et flamboyant de martyre et de philanthropie, et les cornes reprennent la splendeur majesteuse qu'elles avaient au temps où Jupiter et Moïse se faisaient une gloire d'en parer leur front.

De Max et Lugné-Poe nous ont fait admirablement comprendre tout cela.

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