L’Humanité

21 mars 1933

 

Paul Vaillant-Couturier

 

 

UN AN D’ACTIVITÉ DE L’ASSOCIATION DES ÉCRIVAINS ET ARTISTES RÉVOLUTIONNAIRES

 

André Gide parlera, ce soir, Salle Cadet

 

 

Ce soir, l’A.E.A.R. commémorera le premier anniversaire de sa fondation par une réunion organisée, 16 rue Cadet, sous la présidence d’honneur de R. Rolland et H. Barbusse, contre la terreur en Allemagne et contre l’impérialisme français. Elle donnera son adhésion au Congrès antifasciste européen et s’engagera à élargir le front de défense de nos camarades allemands.

 

C’est le mérite de l’A.E.A.R d’avoir pu, en un an, parvenir à rassembler dans ses rangs ou autour d’elle, pour la lutte aux côtés du prolétariat, les éléments représentatifs de la littérature et de l’art « non-conformistes ».

 

Ce soir, André Gide, achevant une évolution qu’on peut suivre à travers ses Souvenirs de Cour d’assises, son Voyage au Congo et ses Pages de journal, viendra affirmer par sa présidence effective, rue Cadet, qu’il ne sépare pas la lutte contre le fascisme allemand de la lutte contre l’impérialisme français.

 

Nul doute qu’une pareille déclaration, dans le moment présent, soit appelée au plus grand retentissement.

 

Par la participation, à cette réunion, de nombreux écrivains, artistes, professeurs, qui ne sont pas membres de notre Association, l’A.E.A.R fera la preuve qu’elle a définitivement rompu avec les tendance sectaires qui marquèrent ses débuts et qu’elle est prête à développer encore sa tâche de rassemblement des intellectuels et des correspondants ouvriers pour l’action révolutionnaire.

 

Si l’on admet, en effet avec Marx, que « toutes les fois que la lutte de classes approche d’un moment décisif, un petit groupe de la classe dirigeante se détache de cette classe et se joint à la classe révolutionnaire à qui l’avenir appartient », il est bien évident que cela ne se produit pas mécaniquement. C’est un procès que les révolutionnaires doivent aider et non pas freiner. Il serait absurde de chicaner ces gens sur leurs origines ou leur passé, et même sur certaines opinions erronées qu’ils peuvent encore traîner avec eux, s’il est vrai qu’ils « commencent à s’élever jusqu’à l’intelligence théorique de l’ensemble du mouvement historique », s’ils démontrent « pratiquement » qu’ils sont résolus à combattre pour « la classe révolutionnaire à qui l’avenir appartient » avec toutes les conséquences que cela entraîne.

 

L’A.E.A.R, chez qui se trouvent réunis des hommes venus de divers partis, doit se garder de deux périls : « l’inopportunisme de gauche » et l’opportunisme de droite.

 

Certains, ne vivant pas encore assez près de la vie des masses, ou bien manquant de bases théoriques suffisantes peuvent se laisser aller, soit à concilier ce qui est inconciliable, soit à faire preuve, en spectateurs, d’une intransigeance à tout casser qui n’est que la pire des facilités révolutionnaires. Nous devons patiemment les reprendre les uns et les autres, les convaincre et leur montrer la voie définie par notre Union Internationale des Écrivains Révolutionnaires, dans sa circulaire datée de 23 décembre 1932 :

 

« L’évolution radicale qui s’est accomplie dans la conscience des larges couches d’intellectuels bourgeois de gauche et petits bourgeois exige une réorganisation complète de tout le travail de l’U.I.E.R. Il faut transformer l’U.I.E.R en une véritable organisation de masses. »

 

C’est en suivant depuis de longs mois déjà cette politique large que l’A.E.A.R. a pu réunir dans ses rangs des membres venus des horizons les plus divers.

 

Ce n’est que dans le travail révolutionnaire que ces différents éléments ont trouvé et trouveront un terrain commun, un travail qui n’est pas celui des partis et qui n’a pas à s’y substituer. Depuis un an il n’est pas une grande manifestation, pas une campagne, pas une fête révolutionnaire à laquelle l’A.E.A.R. n’ait, sous une forme ou sous une autre participé.

 

Dans un article des Isvestia, reproduit d’ailleurs incomplètement dans l’Humanité, l’écrivain Ilya Ehrenbourg, examinant le mouvement littéraire en France, omettait la force révolutionnaire que représentait les éléments composant l’A.E.A.R, l’orientation qu’elle donne aux écrivains « de gauche » en les mêlant aux luttes du prolétariat, et l’appui qu’elle apporte aux rabcors pour leur expression littéraire.

 

C’est que l’A.E.A.R n’a pu s’extérioriser, au cours de sa première année d’existence, que dans un cercle assez retreint des milieux littéraires, faute d’avoir à sa disposition un organe périodique. Cet organe, une revue pour laquelle une société va être créée et une souscription lancée, ainsi qu’une brochure qui précisera les buts de l’A.E.A.R., permettront à Ehrenbourg et à quelques autres de mieux connaître un mouvement qui, par ses tracts, ses dessins, ses feuilles volantes, ses conférences est déjà bien connu des ouvriers.

 

C’est dans le travail et dans le travail seul, avec l’entrée dans L’A.E.A.R des meilleurs correspondants ouvriers du concours de l’Humanité, que se forment de façon décisive ces collaborateurs précieux pour la classe ouvrière, que représentent les écrivains et les artistes qu’une vue juste de leur temps, leur dégoût de la culture bourgeoise pourrissante, leur sentiment que l’avenir de la civilisation est entre les mains du prolétariat dressent aujourd’hui contre le fascisme, le social-fascisme et la guerre.

 

L’A.E.A.R. n’est pas et ne sera jamais une tribune libre, mais elle doit être une organisation de masses.