L’Humanité

23 mars 1933

 

Anonyme

 

A L’APPEL DE L’ASSOCIATION DES ÉCRIVAINS ET ARTISTES RÉVOLUTIONNAIRES

 

Des milliers de travailleurs intellectuels sont venus acclamer André Gide dénonçant le fascisme allemand et l’impérialisme français

 

 

La soirée organisée le 21 mars par l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires contre la terreur fasciste en Allemagne et contre l’impérialisme français a donné lieu à une manifestation mémorable des écrivains et intellectuels accourus en masse clamer leur indignation et leur colère. Plus d’un millier de personnes n’ont pu pénétrer dans la salle archicomble dès 8 heures.

 

André Gide avec le prolétariat

 

Romain Rolland, Henri Barbusse, J-R Bloch, le professeur Prenant, G. Freidmann, Signac ont envoyé de vigoureuses protestations que nous publierons demain dans L’Humanité.

 

Salué par d’interminables acclamations, André Gide se lève et, au milieu d’un silence profond, affirme avec force sa volonté de se ranger dans le grand conflit historique dont le nazisme en Allemagne n’est qu’un exécrable épisode, aux côtés de la classe ouvrière.

 

D’abord, la critique de l’impérialisme :

 

« Seul peur éviter le conflit international un intérêt commun aux différents peuples et qui les unisse au lieu de les opposer. »

 

Comment lutter contre le régime d’oppression et de massacre ?

 

« Nous savons que la seule façon de « faire la guerre à la guerre », c’est de faire la guerre à l’impérialisme, chacun, chaque peuple, dans son propre pays, car tout impérialisme enfante nécessairement la guerre.

 

Nous avons été tous ému par l’extraordinaire motion des courageux étudiants d’Oxford, bientôt suivie par celle des étudiants de Manchester. Peut-être un grand nombre d’étudiants gardent-ils encore cette illusion qui a longtemps été la mienne, je l’avoue, qu’une simple abstention suffisait, et que la résistance pouvait demeurer passive. Une telle résistance risque d’être aussitôt balayée. Mais pour toute autre forme de résistance, je veux dire : pour que cette résistance soit efficace, la plus grande union est nécessaire, une étroite union entre vous tous et une union de classe ouvrière à travers les frontières. »

 

Après avoir flétri la terreur hitlérienne, André Gide proclame sa foi dans la victoire inéluctable du prolétariat.

 

« L’histoire de l’humanité, c’est l’histoire de la lente et douloureuse venue à la lumière de tout ce qui d’abord était maintenu sous le joug et sous le boisseau. »

 

Et il termine par un appel à la solidarité pour l’action :

 

« Il s’agit, par delà les frontières, de maintenir l’union avec les opprimés d’outre-Rhin ; il importe d’abord de la maintenir parmi nous. Je pense que tous ceux qui vont parler le sentent ; j’espère qu’ils tiendront à cœur de préférer l’intérêt commun et international qui nous assemble à tout ce qui pourrait être motif de dissension. »

 

André Gide a fini. Les paroles qu’il vient de proférer sont celles que travailleurs et intellectuels révolutionnaires attendaient de lui. André Gide a coupé les ponts avec la bourgeoisie. Sans réticence aucune, il est debout dans la lutte aux côtés du prolétariat.

 

Contre le fascisme assassin !

 

Berlioz, au cours d’un exposé très nourri, retrace la genèse du fascisme et en donne la caractéristique. Malgré la terreur, 5 millions de voix données au parti communiste attestent la vitalité révolutionnaire du prolétariat allemand.

 

Eugène Dabit dit la colère des écrivains français issus de la classe ouvrière et leur volonté de combattre avec le prolétariat.

 

A-P Antoine, au cours d’une intervention qui produit une grande impression, rappelle les exactions du fascisme, Bruno Walter, chassé de Berlin ; Max Reinhardt en fuite ; Einstein refusant de rentrer dans un pays où la pensée ne peut plus s’exprimer qu’en dialecte nazi.

 

Le docteur Dalsace dénonce les mesures prises par les nazis contre le médecins coupable d’être juifs. Il rappelle que 400 médecins et étudiants français se sont déclarés prêts à lutter effectivement contre le fascisme allemand et contre le chauvinisme français.

 

Le peintre Ozenfant montre comment le fascisme a mis un éteignoir sur toute forme d’art nouveau et qu’il représente une retour véritable à la barbarie.

 

Guéhenno, rédacteur en chef da la revue Europe, avec une éloquence fougueuse jaillie du cœur, dénonce l’abjection du régime hitlérien. « Il n’y a pas d’exemple que de petits nationalistes aient fait de grandes nations. Hitler ne fera pas l’Allemagne. La véritable Allemagne, c’est celle des grands exilés, Heine, K. Marx… » Guéhenno termine par un appel à l’unité des forces prolétariennes pour la lutte contre la fascisme et demande aux écrivains de se prononcer.

 

Francis Jourdan rappelle que le fascisme nous menace en France. Le brigandage colonial, c’est déjà du fascisme français. « Hitler est mort. Lénine est vivant ! »

 

Bernard Lecache, parlant au nom de la Ligue Internationale contre l’Antisémitisme, flétrit avec émotion les horreurs de l’antisémitisme et se déclare prêt à suivre l’action du parti qui saura mener la lutte contre la fascisme.

 

Eluard dénonce les menées de la France impérialiste.

 

Malraux déclare qu’en cas de guerre ceux qui défendent la dignité humaine se tourneront par la pensée vers Moscou, vers l’Armée Rouge.

 

M. Willard montre qu’en Allemagne le droit de défense est pratiquement supprimé.

 

Le professeur Wallon fait un appel émouvant pour la défense des torturés d’Allemagne.

 

Un écrivain allemand, frénétiquement applaudi, remercie les écrivains français de leur hospitalité. Leur rôle est de se lier plus étroitement que jamais aux masses pour les arracher à l’influence fasciste. Assez de discussions subtiles. Front unique ! Le prolétariat allemand n’est pas abattu, ses organisations de combat sont toujours debout.

 

Vaillant-Couturier tire les conclusions de cette soirée. C’est un événement d’une très grande portée que ce rassemblement d’écrivains de savants, d’artistes, d’ouvriers autour de l’A.E.A.R. et d’André Gide dans la lutte contre le fascisme. Hitler est le fils du traité de Versailles et d’occupation de la Ruhr, le résultat de la politique de l’impérialisme française.

 

Vaillant-Couturier énumère la longue liste des écrivains frappés par le fascisme. Il annonce l’adhésion de l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires au Congrès contre le fascisme. Ce n’est pas contre la nation allemande que nous engageons la lutte, dit-il, c’est contre le système capitaliste tout entier. Front unique !

 

André Gide donne lecture de l’ordre du jour adopté à l’unanimité qui flétrit la terreur fasciste et l’impérialisme français et appelle à l’action commune travailleurs intellectuels et manuels.

 

Cette soirée ne manquera pas d’avoir un retentissement considérable en France et à l’étranger. Elle portera à nos camarades allemands l’expression de la volonté de lutte de leurs camarades français.

 

Les protestations contre la terreur nazie sont reçues à l’A.E.A.R. 13, Faubourg Montmartre.