Candide

Mars 1933

 

[Anonyme]

 

Les variations de M. André Gide

 

M. André Gide est communiste. Pour combien de temps ? C’est la question qui vient à l’esprit, si l’on se souvient des autres opinions qu'il a professées dans sa vie. Cela risque d'être parfois oublié. Il y eut, voilà quinze ou vingt ans, un Gide nationaliste, dont M. Henri Massis exhume, dans La Revue universelle, de curieux vestiges.

 

Voici comment M. André Gide, par exemple, accueillit la Jeanne d'Arc de Péguy :

 

« L'étonnant livre ! Le beau livre ! J'écris mal ressaisi, tout ivre. » Et il félicitait Barrès d’avoir loué cette œuvre admirable. « Aussi bien, ajoutait-il, Barrès reconnaîtrait-il dans Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, et reconnaîtrons-nous avec lui, son propre enseignement dans ce qu'il a de plus salutaire, ses théories dans ce qu'elles ont de plus sûr. »

 

Barrès « sûr » et « salutaire » aux yeux de Gide, ce n’est déjà pas mal. Mais il y a mieux. Il y a un Gide pour qui Barrès n’est pas suffisant ! Car M. Gide a écrit un jour : « Non, cela ne suffit pas ; cela ne peut pas nous suffire. Barrès ! Barrès ! Que ne comprenez-vous que ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de confort (et j'entends : du confort de l'esprit), c’est d'héroïsme... Colette Baudoche aujourd’hui, ne peut suffire. Certes, il faut des Colette, des Hauviette ; mais il nous faut aussi, plus que cela. Que Péguy soit loué pour nous avoir proposé davantage. »

 

Il y a mieux encore. Pendant la guerre, comme son ami, le lieutenant de vaisseau Dupouy avait été tué à Nieuport, après s'être converti au catholicisme. M. André Gide communiqua à M. Charles Maurras, des lettres du lieutenant Dupouy, relatives à L'Action française, et il y ajouta ce commentaire :

 

« Le temps est venu, peut-être, de se connaître et de se compter, vivants ou morts. Je suis reconnaissant à mon ami de cette occasion qu’il me donne ; car vous entendez bien que je ne transcrirais pas ses louanges avec tant d'émotion et de zèle si je ne m'y associais de tout mon cœur. Vous ne laisserez pas, je le sais, d'être sensible à ce témoignage posthume d'une des plus belles âmes qu'il m'ait été donné de connaître. Il est de ceux dont la mort n'arrête pas ce que Bossuet appelait le vrai service. »

 

« Servir »... avec l'appui de Bossuet, M. Gide, en ce temps-là, parlait comme M. Paul Bourget. Et non content de cette manifestation verbale, il joignit à sa lettre une contribution financière « pour le meilleur usage ».

 

De souscripteur de L'Action Française à néophyte du bolchevisme, M. André Gide se livre à des variations d'une certaine amplitude.

 

Mais le communisme le retient-il encore ? Il paraît que le voyage en Russie est momentanément ajourné, car M. Gide est occupé par une nouvelle affaire : il prépare le scénario d'un ballet pour l'Opéra.