Daniel DUROSAY (1938-2000)

Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud (1959-1964), agrégation des Lettres modernes et Fondation Thiers (1967-68). Maître de conférences à l'Université de Paris-X-Nanterre jusqu'en 1999. A dirigé le Bulletin des Amis d'André Gide de 1989 à 1991, et créé l'« Atelier André Gide » sur Internet en février 1997. On trouvera l'essentiel de la longue liste de ses publications dans le BAAG d'octobre 2000.

Souvenir de Daniel Durosay

'Élégant, raffiné, secret', telles sont les trois épithètes qui viennent tout naturellement pour désigner Daniel qui s'en est allé au coeur de cet été, au retour d'une promenade dans la campagne normande qu'il aimait et où il possédait un pied-à-terre.

C'est l'ami que nous voulons évoquer ici, car Daniel Durosay comme nul autre savait 'faire l'amitié'. Cette qualité le caractérisait tout entier : rarement comme chez lui, on a pu trouver cette force d'engagement auprès des autres, cette vocation pour la générosité et le partage. Réunir ses amis, favoriser les rencontres et les retrouvailles, ouvrir sa porte, dresser de somptueuses tables chez lui, rue du Borrégo, étaient pour tous ceux qui l'ont connu d'authentiques plaisirs auxquels il apportait un soin extr'me. Il était visiblement heureux de rendre heureux. Son élégance tenait d'ailleurs précisément à cet art de l'accueil, à sa grande capacité d'écoute, à sa faculté d'être présent tout en cherchant à s'effacer. De là, sans doute, cette difficulté à peindre son portrait : il se montrait d'une telle retenue qu'il semble aujourd'hui nous avoir échappé. Pour chacun d'entre nous, il est évidemment celui qui, sans compter son temps, sans ménager sa peine, a parfait la forme du Bulletin des Amis d'André Gide. Pionnier dans la grande aventure informatique, il en a suivi toutes les évolutions, depuis les premières machines à traitement de texte avec lesquelles il composait les textes de ses amis jusqu'à la plus récente apparition d'Internet, dotant l'association d'un site, l'Atag, auquel il donnait beaucoup de lui-même, généreux et patient, absolument désintéressé, pour l'amour de l'art, en chercheur qu'il était naturellement, en qu'te de perfection, d'efficacité, de progrès et de rigueur. Il répondait précisément à des questions pointues, gentiment à des demandes farfelues : il savait être présent. Sur la toile comme ailleurs, on pouvait compter sur lui. Dans ces mondes virtuels et dans des espaces bien réels, il était homme de dialogue, celui qui, par amour, n'avait de cesse de rapprocher autour de ses passions.

De lui, ceux qui avaient eu la joie de le connaître un peu mieux peuvent se rappeler le goût de la vie, dans trois domaines au moins : la gourmandise, le jardinage et les voyages. Gourmet, il évoquait avec délice le vrai pain qu'il avait essayé de confectionner lui-même, les calissons d'Aix qu'il ne manquait jamais de rapporter, les macarons bien fondants (pas ceux de Nancy qu'il comparait à des cailloux) ; il se montrait cependant d'une tempérance exemplaire, veillant à goûter avec mesure à ces plaisirs ...

Le jardinage - ou plutôt l'horticulture, car il était passé maître dans la science des boutures, de la taille et des semis - était une affaire de la plus haute importance : il parlait avec tendresse des arbres qu'il avait su planter et faire pousser sur son balcon parisien, des massifs qu'il avait créés à Bénerville, des fleurs qu'il voulait faire pousser pour Michel à Vernouillet. Il n'aurait pu résister au désir de transformer, par de précis coups de sécateur, un vague massif laissé à l'abandon en un somptueux et harmonieux bouquet de roses. Comme une partie de lui-même, il offrait des arums ou des fuchsias.

On comprenait à l'entendre parler de son séjour en Italie que voyager avait été pour lui comme une nécessité, une libération. Il nous confiait avoir appris l'italien avec les cours de la BBC pour fuir les brumes froides de l'Angleterre et gagner le soleil vivifiant de la Toscane, c'est tout dire de sa volonté et de son sens du plaisir. Ainsi, chaque année, il se ménageait une de ces pauses longuement et minutieusement préparée qui l'emmenait vers le sud de la France, l'Italie ou le Maroc. Aux descriptions précises qu'il savait faire des paysages ou des monuments qu'il avait visités, on mesurait toute sa sensibilité, son sens profond de la beauté et son besoin de connaissance.

Quand il se livrait, ce n'était jamais que par touches discrètes : quelques indices au détour d'une conversation, avec ce souci constant de trouver le mot juste. Ainsi, il laissait deviner quel chemin il avait parcouru, quand il parlait avec chaleur et admiration des livres d'Annie Ernaux dans lesquels il retrouvait l'univers de son enfance. Le secret restait entier, Daniel inspirait trop de respect pour qu'on osât poser des questions, il fallait le laisser aller à nous pour espérer nous montrer dignes de la confiance qu'il nous accordait.

Méticuleux en toute chose, précis et exigeant, il est parti, sa part de Pléiade achevée, nous laissant plus riches de notes que l'on devine intelligentes et irréprochables, mais si tristes de n'avoir pas osé lui dire assez que nous l'aimions ...

Céline Dhérin

 

Retour au menu principal