Gérard BAUER, Réponse à l'Enquête sur l'homosexualité en littérature des Marges, mars-avril 1926.

Repris dans Une Enquête de la revue Les Marges. Présentation Patrick Cardon. Lille : Cahiers Gai-Kitsch-Camp, n° 19, 1993, pp. 22-23.

Numérisation pour l'Atag : Daniel Durosay, juin 1999.

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[5] par exemple, placé au début de la p. 5.

     [...] Cette inquiétude [la peur de la persécution inspirée par plusieurs siècles de catholicisme] est demeurée latente chez la plupart des homosexuels. Elle a formé un des angles de leur caractère. Littérairement, il ne semble pas douteux, que cette inquiétude, cette susceptibilité ne marquent les oeuvres d'atmosphère homosexuelle. Les premiers livres de M. André Gide ne procèdent que par allusions, et si l'on étudie dans la littérature contemporaine l'oeuvre d'un parfait écrivain préoccupé de ces problèmes comme M. Jacques de Lacretelle, on retrouve constamment chez ses héros cette inquiétude de la per sécution : chez Jean Hermelin, chez Silbermann et chez La Bonifas dont l'homosexualité n'est pas niable.

     Pourtant si cette disposition d'esprit fort ancienne demeure en puissance dans les oeuvres de cette nuance, il n'est pas niable que [23] les homosexuels n'aient pris présentement de l'assurance et le ton d'un prosélytisme audacieux. Marcel Proust a été comme le Messie de ce petit peuple et les a, au prix d'une sorte de génie, libéré de leur esclavage. Ce n'est pas que son oeuvre prône l'homosexualité mais elle lui a donné sa noblesse littéraire. Le premier, dans le monde moderne et catholique, il a abordé le problème de front et en a parlé sans gêne ni réticence. Il a ouvert la route à ceux qui n'osaient pas s'y engager. Le cas de M. André Gide est bien significatif de ces hésitations. On les sent tout au long dans les préfaces de son Corydon qui est d'ailleurs un livre médiocre et qu'il eût mieux fait pour sa légitime renommée de ne pas publier. Dans la préface de la seconde édition (à 21 exemplaires) de son petit ouvrage il écrit : « Š J'étais d'autre part très soucieux du bien public et prêt à celer ma pensée dès que je croyais qu'elle pût troubler le bon ordre. C'est bien aussi pourquoi, plutôt que par prudence personnelle, je serrai Corydon, dans un tiroir et l'y étouffai ». En 1924, publiant son livre sans restriction de tirage, il écrit cette fois de son ouvrage qu'il ne tient pas à ce que cette publication lui enlèvera : « applaudissements, décoration, honneurs, entrées dans les salons à la mode ». Et il ajoute : « Ce que l'on a pris parfois pour une certaine timidité de pensée, n'était le plus souvent que la crainte de contrister quelques personnes... » On ne peut être dupe de ces changeantes allégations. La première fois il s'agit du bien public ; la seconde fois la crainte de contrister quelques amis. Voyons plus clair en M. André Gide que lui même et montrons lui sa déterminante. Entre 1920 et 1924 Sodome cet Gomorrhe avait paru. Et pour ce qui est des applaudissements, des décorations, des honneurs et des entrées dans les salons on sait bien que la pédérastie ne les éloigne plus aucunement, loin de là. Pourtant rendons grâce à M. André Gide, en un temps où la plupart des hommes de lettres font une carrière administrative et agencée, de s'être toujours tenu à l'écart des grades, des succès faciles et couronnés : mais nous n'avions pas besoin qu'il publiât Corydon pour le comprendre et l'en louer. [...]

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