Théâtre de Paris

[1901]

 

G. V.

 

En annonçant dans les journaux la première prochaine du Roi Candaule, les organisateurs de la représentation écrivaient : « Le drame de M. André Gide ouvre une lice nouvelle où les tendances hardies d’un Théâtre Lyrique, humain et de pensée, pourront se montrer en contact avec la foule et heurter de front les autres formules ».

Ils s’attendaient, au Nouveau-Théâtre, à une manifestation littéraire et à une soirée de combat dans le goût des anciennes soirées de l’Œuvre.

La montagne est accouchée d’une souris. Tout s’est passé de la façon la plus calme du monde. La pièce de Gide, qui n’a rien de subversif, ne révolutionnera pas le monde. Elle ne nous offre que la fameuse anecdote du roi Candaule, présentée sous un jour nouveau, coupée de longs discours philosophiques du monarque sur son bonheur, discutable à ses yeux. Il est l’artisan de son infortune et nous paraît tout à fait ridicule et peu intéressant, malgré ses professions de foi de bonté pour les malheureux qu’il veut faire profiter de ses trésors.

Parmi ceux-ci, le plus précieux est sa femme Nyssia, chaste créature qui fuit les regards des hommes. Son mari l’amène, contrainte et forcée, au milieu d’un souper de courtisans auxquels il recommande la décence de leurs propos, vu la présence de la reine.

Candaule, gardant pour lui seul cette perle, se considérerait « comme un cupide accapareur de qui détiendrait injustement de la lumière ». En vain la reine lui dit : « Il est certains bonheurs que l’on tue quand on veut les faire partager à d’autres ! » Il est avaugle et sourd et se complaît dans son idée saugrenue.

On sert au festin un poisson dans lequel on trouve un anneau dont Candaule s’empare. On fait venir le pêcheur qui l’apporta au palais royal.

C’est Gygès, un pauvre diable qui n’a pour tout bien que sa misère. « Je te l’enlèverai. », dit Candaule.

Et il veut faire le bonheur et la fortune de Gygès. Il lui débite toutes espèces de théories, s’aperçoit que le pêcheur pense à sa femme. « Que me proposes-tu, inquiète pensée ! » s’écrie Candaule. Et il passe au doigt de Gygès le fameux anneau qui rend invisible son possesseur, lui explique le pouvoir dont il est investi, déshabille Nyssia devant l’heureux mortel, l’éblouit et le laisse en tête à tête avec elle, en lui disant : « Et que maintenant tout autour de moi soit heureux ! » N’est-ce pas étrange ?

Ce qui se passe dans l’entracte nous est révélé par la joie de Nyssia, qui raconte à Candaule son bonheur de l’avoir retrouvé plus amoureux que jamais. Ayant pris Gygès pour son mari, elle excite la jalousie de l’époux, qui voudrait reprendre son anneau.

Mais Gygès dévoile la vérité à Nyssia ! Horreur, abomination pour cette pudique créateur : « C’est lui qui vous a donné à moi. Il faut le tuer ! »

Après quelque hésitation, notre pêcheur poignarde Candaule qui meurt en murmurant : « Pourquoi m’as-tu frappé ? je ne sentais en moi que de la bonté ! »

« Levez-vous, roi Gygès ! » dit Nyssia, « vous êtes mon époux ! »

Cette manière de travestir une légende est enfantine. Le bon Candaule devient un simple fou dont l’esprit est mis à la torture par ses divagations et son besoin d’étonner ses interlocuteurs. Il n’a pas grand mal à y réussir avec ses courtisans, dont les plaisanteries sont d’une lourdeur désespérante.

La manifestation littéraire annoncée se réduit à une pièce bizarre, écrite avec une recherche et une affectation mêlée de trivialités, sans le moindre sel attique.

Nous n’insisterons pas sur les conventions de mise en scène qui font que le porteur de l’anneau est soi-disant invisible pour ses interlocuteurs en scène, tout en restant de chair et dos pour les spectateurs !! C’est d’une naïveté conventionnelle extraordinaire !

M. de Max, moins exubérant que d’habitude, donne à Gygès une physionomie assez curieuse de philosophe miséreux, habitué à ce que les regards des puissants passent par dessus les petits sans les voir. Candaule fait exception à cette règle. Il en est mal récompensé et est puni de sa folie, malgré toutes les théories émises à jet continu, et sous forme de serments, par M. Lugné Poe (Candaule).

Mlle Henriette Roggers a de la grâce et du charme sous les traits de Nyssia.

Les décors ne sont pas sans poésie avec les fonds lunaires, quand « le soir se ferme », c’est-à-dire quand il fait nuit, en langage vulgaire.

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