FORMATION

(1874-1889)

     En 1874-75, le petit André est envoyé rue de Vaugirard à l'institution de Mlle Fleur et de Mme Lackerbauer ; à sept ans, il prend de Mlle de G¦cklin ses premières leçons de piano. Après que ses parents ont quitté la rue de Médicis pour emménager 2, rue de Tournon (1875), il entre en novembre 1877 en classe de neuvième à l'École Alsacienne, rue d'Assas, où vont alors la plupart des enfants de la bonne bourgeoisie protestante. Le nouvel élève de M. Vedel n'est pas brillant : « J'étais un des derniers de la classe [...] : je dormais encore ; j'étais pareil à ce qui n'est pas encore né »... [8]. Mais quelques semaines plus tard, l'instituteur ayant surpris ses « mauvaises habitudes  », il est renvoyé pour trois mois de l'École : une consultation grand-guignolesque, arrangée par ses parents, chez un médecin qui lui montre une « panoplie de fers de lances touareg » en le menaçant de castration le traumatise à coup sûr durablement. À peine a-t-il reparu sur les bancs de l'École qu'il tombe malade (rougeole), et part en convalescence à La Roque où il achève l'année. En 1878-79, il redouble sa neuvième dans la classe de M. Vedel. Sa santé restera toujours précaire, sa fréquentation scolaire fort irrégulière : ainsi commence-t-il très tôt cette vie « désencadrée, cette éducation rompue à laquelle [il] ne devai[t] que trop prendre goût  ».

     Pendant l'été 1880, après une classe de huitième qu'il a faite en étant pensionnaire chez M. Vedel, la mort de son petit cousin Émile Widmer le bouleverse profondément et provoque son premier Schaudern : il ne connaissait pourtant que très peu cet enfant de quatre ans et n'avait pas pour lui « de sympathie bien particulière », mais sa mort n'était pour le jeune André que l'événement déclencheur d'une « angoisse inexprimable [...]. On eût dit que brusquement s'ouvrait l'écluse particulière de je ne sais quelle commune mer intérieure inconnue dont le flot s'engouffrait démesurément dans mon c¦ur  » [9]. Le 28 octobre, brutalement emporté par une tuberculose intestinale, Paul Gide meurt et André, perdant ce père doux et un peu effacé dans son foyer, pour qui il avait éprouvé « une vénération un peu craintive », se retrouve seul avec sa mère, femme fort intelligente, cultivée, ouverte à la pensée vivante et libre, mais d'un rigorisme religieux, moral et puritain qui marquera profondément l'enfance et l'adolescence de son fils. Il quitte l'École Alsacienne pour passer l'hiver à Rouen, rue de Crosne, où il a de violentes crises d'angoisse : « Je ne suis pas pareil aux autres ! » Printemps 1881 à La Roque, où Mme Gide fait venir un précepteur, M. Bonnard [10], « tout jeune gandin [...], myope et niais »... En octobre, Mme Gide et son fils s'installent à Montpellier, près des Charles Gide ; André va au lycée, où il souffre de la brutalité de ses camarades ; il tombe malade, a des crises nerveuses à demi simulées : on l'envoie en traitement à Lamalou-le-Haut, puis à Gérardmer (mai et juillet 1882). Après l'été 1882 passé à La Roque, puis une nouvelle cure à Lamalou, il rentre à l'École Alsacienne (en cinquième)... que des maux de tête lui font quitter un mois plus tard pour Rouen.

     C'est fin décembre 1882 que se situe le « Schaudern » de la rue de Lecat, Gide ayant la révélation, par hasard, à la fois de l'inconduite de sa tante Mathilde et de la souffrance secrète de sa cousine Madeleine [11] : c'est à cette époque qu'il prend peu à peu conscience de son amour pour celle-ci, l'aînée des six enfants de son oncle Émile Rondeaux (il a alors treize ans ; elle, née le 7 février 1867, presque seize), et qu'il a toujours préférée à ses soeurs Jeanne et Valentine. La découverte du douloureux secret de Madeleine exalte son sentiment : « Que dirai-je de plus ?... J'avais erré jusqu'à ce jour à l'aventure ; je découvrais soudain un nouvel orient à ma vie » [12].

     Après avoir terminé l'hiver sur la côte d'Azur, Gide rentre à Paris, demi-pensionnaire à Passy, chez M. Henry Bauer (M. Richard dans Si le grain ne meurt) qui lui fait lire Amiel, dont les Fragments d'un journal intime viennent de paraître : cette lecture incite le jeune garçon à tenir lui-même un journal. L'été 1883, à La Roque, il se lie d'amitié avec un fils de pasteur pauvre, Émile Ambresin (Armand Bavretel dans Si le grain ne meurt, Armand Vedel dans Les Faux-Monnayeurs). En janvier 1884, l'épisode du canari tombé du ciel affermit sa foi en sa « vocation d'ordre mystique » : « N'as-tu donc pas compris que je suis élu ? » dit-il à sa mère [13]. Avec son ami François de Witt-Guizot, il fait, durant l'été 1885 à La Roque, de ferventes lectures mystiques ; il commence à correspondre régulièrement avec sa cousine Madeleine, comme elle il lit avec enthousiasme Homère et les tragiques grecs, et boit « à pleine Bible ». C'est l'époque ardente de sa première communion.

     En octobre 1887, Gide entre en rhétorique à l'École Alsacienne, où il a pour camarade Pierre Louis (le futur Pierre Louÿs, auteur des Chansons de Bilitis et d'Aphrodite) ; découverte de Goethe. L'année suivante, il entre en philosophie au lycée Henri-IV (où il se lie avec son condisciple Léon Blum) qu'il quitte à la fin du premier trimestre pour travailler seul ; sa principale lecture philosophique est celle de Schopenhauer dont Le Monde comme volonté et comme représentation vient de paraître dans la traduction de Burdeau. Louÿs, élève à Janson-de-Sailly, lui présente ses camarades Marcel Drouin (qui deviendra le beau-frère de Gide en 1897), Maurice Quillot (futur dédicataire des Nourritures terrestres), Maurice Legrand (futur Franc-Nohain)... En cette année 1888, une séparation juridique consacre la rupture des parents de Madeleine.

     Gide est bachelier en juillet 1889 (contrairement à ce qu'affirme Si le grain ne meurt, de manière erronée, qui situe le succès à la seconde session, en novembre). Pour fêter ce succès et sa liberté, il effectue un voyage en Bretagne, -- presque seul, sa mère le suivant à une étape de distance... Quoique décidé à se consacrer à la littérature, il s'inscrit en Sorbonne pour préparer une licence, mais c'est surtout pour bénéficier d'un sursis. Lecture enthousiaste d'Un Homme libre de Barrès ; il commence à fréquenter certains cercles et salons littéraires. Le ler mars 1890 meurt Émile Rondeaux, qu'André Gide et Madeleine veillent ensemble : « Il me semblait que s'étaient consacrées nos fiançailles. »

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